On referme le Livre 2023

Dans la galerie de nez, il en est un philosophe, l'autre historien, sans parler du nez du classicisme grec, mais il n'en est qu'un, celui de Madame Éluard, d'une beauté surnaturelle. Diderot n'en disconviendrait pas.

1. Alain Badiou (né en 1937), Éloge de la philosophie, 2023, Flammarion, 269 pages, 21 euros, impression Floch (Mayenne).

Voilà bien un livre qui mériterait plus qu'une notice, chose qui reste à faire, donc: s.d.p.v., abbréviation que Lili Brik avait coutume de glisser dans ses lettres à sa sœur, Elsa Triolet ("si dieu nous prête vie", formule empruntée à Tolstoï). Il le vaut d'abord par sa forme, couchée en dialogue évocateur de la grande tradition socratique, mettant aux prises un "parleur" (maître de conférence) avec une dizaine de chercheurs de vérité, dont le caustique Clésacalli auquel incombe le rôle de critique goguenard de la philosophie "badiouesque", ce par des exclamations dignes du trouble-fête patenté. Exemple: interrompant le ronron méta-philosophique de ses petits camarades, il leur offre une apostrophe en forme de pied de nez: "Là, on est vraiment dans le trou! Tout le monde finit dans la Rien. Même le quelque chose, c'est du Rien en conserve. C'est ça, la «philosophie» de Badiou: une plongée pseudo-mathématique dans un trou noir de l'esprit." Autodérision? Elle n'est pas que de façade tant ce bouquin aurait pu s'intituler "Éloge de Badiou, le philosophe" par Alain Badiou, lui-même (la moitié du livre n'a d'autre visée que celle de présenter le système de Badiou). Mais le livre vaut encore, discutable, par une déclinaison des grands courants de la philosophe réduits à deux, à ses yeux aussi factices l'un que l'autre, frères jumeaux à face de Janus qu'il nomme tantôt obscurantisme et conservatisme, tantôt nihilisme et positivisme. Sans surprise, il leur oppose la Juste Voie de la dialectique. C'est en quelque sorte dans le droit fil d'un Politzer et ses deux camps irréductibles, idéalisme versus matérialisme. Cette valse des étiquettes, cette chirurgie au laser des concepts qui nous guident, illustrent, si besoin était, l'intérêt qu'il y a d'encore y réfléchir. Et puis, il vaut pour le simple plaisir de fréquenter un bonhomme, octogénaire d'une insolente vitalité, qui sait rendre attrayant le royaume des idées, par exemple l'idée que la philosophie n'est pas, contrairement à toutes les autres disciplines, un savoir, mais bien une interrogation sur ce qu'est le savoir. Parmi ces bonnes choses, il y a la déclaration de Kant selon laquelle, résume Badiou, "tout ce que la philosophie a affirmé concernant Dieu, l'être humain et la nature est faux, illusoire, imaginaire, tiraillé entre des orientations contradictoires tout aussi «rationnelles» les unes que les autres." Ou encore, signé Badiou, sur "l'invention de Dieu", créé par les "pauvres humains" que nous sommes, et ce à partir de rien: "C'est donc une création négative, et rien ne prouve mieux le génie des êtres humains que leur capacité de créer quelque chose à partir de rien." En fôlatrant dans les allées de la philo, on ne perd pas sont temps.

2. Mario Tronti (1931-2023), La politique du crépuscule, 1998, éd. de L'Éclat, 2000, 106 pages, 12,96 euros, trad. Michel Valensin, impression France Quercy (Cahors). Le texte est suivi sept autres de même époque, quelque 150 pages, en cours de lecture et dont il sera question ultérieurement.

Encore un livre qui, s.d.p.v., mériterait plus qu'une notice. L'éclairage panoramique que ce grand marxiste italien projette sur ce qui fait monde, lourd des orages passés, donne à voir l'insoupçonné, l'occulté, l'inexpliqué derrière une histoire lissée par les orientations idéologiques du moment. À commencer par le rôle innoui joué par la révolution russe de 1917, inouï par cette impensable prise de pouvoir des masses subalternes, aussitôt perçue comme intolérable: guerres chaudes et froides ne cesseront d'élever un rempart pour la contenir et l'anéantir. Vue avec les lunettes de Tronti, ce choc entre deux systèmes, deux visions du monde, opposant mouvement ouvrier (jusque-là servile et corvéable) et bourgeoisie (jusque-là seigneurale et rentière), était porteuse, par sa ligne de démarcation claire et nette, de ce qu'il nomme la grande politique - celle où la politique, plutôt que l'économie, régit le monde. Pour le dire avec ses mots: "La classe ouvrière, se faisant État (...) a soustrait la politique au capital". Ou encore: "Tout le contraste entre capitalisme et socialisme peut se lire comme un conflit entre économie et politique." Et on sait qui en est sorti gagnant: paraphrasant Clausewitz, précise-t-il, "l'économie [est] la continuation de la guerre par d'autres moyens" et sa victoire sur le politique signe la mort du mouvement ouvrier. Place alors à la petite politique des petits hommes, place à la Restauration avec son "libre marché" qui pose que, dans ce cadre, "les ouvriers n'ont jamais vaincu politiquement, sinon lorsqu'on les a autorisés à repeindre en or leurs chaines." Sur ce point comme sur d'autres, Tronti n'est pas avare en jugements pessimistes, ce que résument bien deux dernières citations de méthode, l'une sur la difficulté de percer les pénombres du siècle, "Le rapport entre l'histoire et la politique est obscur, confus, ambigu, irrésolu et à la fin imprévisible.", l'autre sur ce qui demeure néanmoins la tâche de quiconque cherche à y voir clair, "Si on ne fait pas le ménage intellectuel des idées et des mots, ce siècle sera mort, inachevé, incompris et du haut de son espace tragique de vie, à la fin déchu." À lire et relire le crayon en main.

3. Jean-Pierre Vernant (1914-2007), Ulysse, suivi de Persée, 2001, éd. Bayard, 2023, 107 pages, 12,95 euros, impression Nord Compo (Villeneuve-d'Ascq).

Il faut saluer cette nouvelle petite collection qui publie de brèves conférences où des spécialistes très-érudits s'adressent à des enfants, ce qui, partant, les obligent à gommer tous les mots savants, et souvent bien inutilement savants, pour dire ce qu'ils ont à dire. Ici, c'est le grand et fin connaisseur de la Grèce antique Jean-Pierre Vernant qui narre à grands coups de pinceaux la geste du rusé Ulysse, lequel, pour le grand plaisir des petiots comme des grands, se donne le nom de Personne pour échapper à l'ogre cyclopéien qu'il vient d'éborgner. Lorsque ce grand bêta appellent ses amis à l'aide en criant qu'il est attaqué par Personne, les copains ameutés s'exclament évidemment, dépouillé de l'hexamètre de Homère: "Mais alors, andouille, si personne t'a fait ça, qu'est-ce que tu nous embêtes, on n'y peut rien!". Et puis, merveille des merveilles, la découverte par Ulysse du pays des Lotophages, du nom de cette savoureuse plante nommée loto qui, aussitôt consommée, "vous fait tout oublier. Vous ne vous souvenez plus de rien, ni de ce que vous êtes, ni des raisons pour lesquelles vous êtes là." Un peu comme les chips, les hamburgers, tous les aliments de pacotille des supermarchés qui font oublier la vraie vie - mais, ça, Vernant omet de dire car, vrai, ce n'est pas pour les oreilles des petits enfants. Chaque chose à son heure...

4. Jacqueline de Romilly (1913-2010), Petites leçons sur le grec ancien, 2008, éd. Stock, 175 pages, 8 euros (bouquinerie Het ivoren aapje), impression Nord Compo (Villeneuve-d'Ascq).

On a beau ne rien connaître de la langue grecque ancienne, cette introduction couchée dans un langage simple et délicieux par la grande dame de la chose hellénistique est une joie. Ainsi, le vers d'ouverture de l'Iliade, avec sa "densité poétique" que ne rend que de manière très bancale la traduction française: Mènin eide, thea, Pèlèiadeô Achilèos oulomenèn, hè, littéralement, mot à mot, "La colère (mènin), chante-la, déesse, celle d'Achille, le fils de Pélée, colère funeste (oulomenèn)". Densité, en effet, comme l'illustre de Romilly par un vers tiré d'Eschyle: c'est qu'il a ici "fallu treize mots français [au traducteur] Paul Mazon pour traduire les six mots du vers grec". Ou encore, grâce à la possibilité de créer des combinaisons de mots, l'exubérance expressive, tel ce "sphragidonuchargokomètas" (fainéants-chevelus-occupés-de-leurs-bagues-et-de-leurs-ongles) chez Aristophane, auquel on dit aussi "meteôrophenakes" (charlantans [discourant dans] les nuées). Découvrir une langue, c'est voyager à peu de frais.

5. J.G. Ballard (1930-2009), Sauvagerie, 1988, éd. Tristam 2023, 86 pages, 9,90 euros, trad. Robert Louit, impression Floch (Mayenne).

Deux raisons ont poussé à l'achat. Le parcours atypique de Ballard, Anglais né en Chine, études de médecine pour devenir psy, instructeur à la Royal Air Force, ce avant de devenir romancier professionnel. Et, puis, c'est un mince volume pas cher, histoire de marquer une petite pause dans les lectures plus lourdes. Ajouter l'envie de découvrir un auteur dont le nom figurait à la périphérie de l'horizon mental depuis longtemps. Las! C'est du vite lu mais aussi du vite classé vertical, cette histoire d'un meurtre collectif dans un zoning cossu pour ménages hyper-riches laissant sur le tapis tous les adultes mais aucun des enfants, tous volatisés, à première vue kidnappés, quoique, introuvables, ils sont. C'est du mystère policier total, pas de demande de rançon, rien. Disons que tout cela est modérément divertissant, sans plus, presque une perte de temps. Un petit roman gris et pluvieux.

6. Ernest Renan (1823-1892), Marc Aurèle et la fin du monde antique, 1882, éd. Manucius 2023, 109 pages, 10 euros, impression ICN.

Il faut bien le reconnaître: placé devant le choix, très hypothétique, d'entamer l'Histoire des origines du christianisme d'Ernest Renan, en huit forts volumes (publiée entre 1863 et 1883) et, en quelque vingt pages, se faire une petite idée de la chose grâce à ces lignes sur Marc Aurèle, tirées de la monumentale œuvre, il n'y a pas l'ombre d'une hésitation. Mieux, on éprouve comme un sentiment de gratitude envers ses petits éditeurs qui, en reproduisant des "bonnes feuilles" de grands auteurs du passé, offrent la possibilité d'une familiarisation touristique. Frappe ainsi, chez ce philosophe et historien, une écriture dépouillée de tout jargon savant, presque bonhomme, un peu à l'image de l'instituteur de village d'antan. Sur le sujet proprement parlé, le règne de l'empereur philosophe Marc Aurèle (19 années, de 161 à 180), Renan l'évoque avec beaucoup de sympathie comme le bref moment de l'histoire où fut tenté un gouvernement des sages - la plupart se révélant hélas être des crétins obscurantistes et carriéristes. Avec ce paradoxe que ce bref âge de petites Lumières sera aussi celui qui ne cessera d'alimenter les superstitions, dont la première d'entre elles, le christianisme, sortira vainqueur. On a envie de dire pauvre Marc Aurèle puisque, en sus, sa femme Faustine le rendit cocu en plus de lui donner un fils, et successeur, Commode, en tout la négation du paternel, une "sorte d'athlète stupide" dans les mots de Renan. On comprend mieux, cité par Renan, le constat consigné par Marc Aurèle dans ses Pensées, "En un mot, tout ce qui regarde le corps est une fleuve qui s'écoule; tout ce qui regarde l'âme n'est que songe et fumée".

7. La Pléiade (fondée en 1923 par Jacques Schiffrin), Album Éluard, 1968, iconographie réunie et commentée par Roger-Jean Ségalat, 323 pages, 24 euros (bouquinerie Petits Riens), impression Humblot (Nancy).

La collection Albums de la Pléiade est, depuis sa création en 1960, une riche idée. Des écrivaines et écrivains présentés avec d'abondantes reproductions grâce aux ressources iconographiques de la grande maison d'édition, le texte succinct de style abécédaire qui les meublent ayant plutôt un rôle de faire-valoir. Ce sont les images qui attirent et c'est aux images qu'on va. Avec le poète Paul Éluard (1895-1952), les reproductions de documents autographes et revues éphémères de même que les photos intimes et tableaux d'artistes (Picasso, Max Ernst, Tzara, Magritte ou Éluard lui-même) donnent surtout des couleurs - le noir, le blanc, l'entre-deux - à la féerique période surréaliste. Mais pas seulement. Là, chacune, chacun fera son choix. Car les livres ont parfois le don de magie et, de mon immodeste côté, cela faisait un temps que j'observais avec fascination une jeune femme s'attablant régulièrement à la terrasse d'un bistrot peuplant de son spleen mes habitudes. Fascinait, donc, son beau visage mais, particulièrement, le nez, d'une divine perfection. C'est plutôt rare. Je m'étais promis de l'aborder par une flatterie: "Savez-vous, vous avez un nez magnifique. J'éviterais cependant la boxe car il me semble fragile." Ce n'a pas encore eu lieu. Ce qui a eu lieu, c'est la magie, car la deuxième épouse d'Éluard, dont abondent les photographies et les portraits, surtout de Picasso, nombreux, était comme la copie de la Dame du Bistrot. Les mêmes traits fins! le même nez d'une vertigineuse beauté! on comprend que Picasso fut séduit. Voilà évidemment qui exige d'en savoir plus. Une monographie de 2010 sur la propriétaire du nez sublime, fort heureusement encore disponible, sera prestement commandé...

8. Chantal Vieuille (âge inconnu, doctorat en 1983), Nusch - Portrait d'une muse du Surréalisme, 2010, éd. Artelittera, 126 pages, 40 euros, impression Sprenger (Sausheim).

Voici donc tout un livre sur un joli nez! Car après Monsieur Éluard, voici Madame, née Maria Benz mais que tout la mouvance surréaliste, Man Ray, Picasso & Cie, affectueusement appelait Nusch. Dont on apprend que, née en 1906, fille d'un comédien ambulant désargenté de Mulhouse, elle connaîtra tôt la misère et, pour survivre, l'art de "faire le trottoir", à Paris, où, cependant, petit canard deviendra cygne grâce à une rencontre inopinée du plus pur roman à la rose, à savoir, les croisant, boulevard Hausmann, René Char et Paul Éluard. C'était en 1931. Et c'est à partir de là qu'elle devient la muse du surréalisme comme la nomme ce léger volume. Duquel Éluard ne sort guère grandi, souffreteux et obsédé par son épouse n°1 (Gala, qui l'a quitté pour Salvador Dali) qu'il ne cessera d'alimenter en transports amoureux épistolaires. Et comment madame n°2 vécu-t-elle cela? Là, on hésite. Soit on se rallie à ce que la biographie sous-entend entre les lignes et Nusch n'aurait eu d'esprit que son corps, une "belle plante" comme on dit vulgairement, mais au sens noble du terme, tel un félin d'extraction divine, rêveuse, satisfaite par le simple bonheur d'être. Soit, encore, la biographe est passé à côté: que certaines témoins les plus proches de Nusch aient refusé de lui parler est un indice, et qu'elle ne dise absolument rien, mais alors rien, de son splendide nez lorsqu'elle décrit ses traits, en est un autre. Impardonnable! Nusch a le malheur de mourir fort jeune, en 1946, à quarante ans. Lui survivent, les très belles reproductions de photos et tableaux de cette monographie.

9. Diderot (1713-1784), Le neveu de Rameau, environ 1761-1779, poche Garnier Flammarion, 1967, 2004, 187 pages, 1,5 euros (bouquinnerie Pêle Mêle), impression MAME.

Sans doute même les inconditionnels de Diderot ne goûteront qu'à moitié ce dialogue satirique, pour partie œuvre de circonstance puisqu'elle se veut contre-feu dirigé vers les têtes de pont, nommément cités (et qualifiés: "insignes marouffles"), qui avaient en 1760 cherché à ridiculiser les philosophes et, partant, Diderot. Mais comme en secret, car le texte ne sera pas publié du vivant de son auteur: cet honneur reviendra à Goethe dont la traduction paraîtra en 1805. Singulier parcours, donc, pour ce classique des Lumières faisant son entrée en scène en langue allemande. Soit dit en passant, il n'était pas rare à l'époque, d'expression plus censurée que libre, de faire circuler un manuscrit dans un cercle restreint. Faire circuler quoi? Il s'agit ici d'une joute entre un "Moi" et un "Lui" (le fameux neveu) et leurs deux visions du monde radicalement opposées. On a coutume de présenter le neveu comme un cynique (il se dit "jamais faux, pour peu que j'aie intérêt à être vrai; jamais vrai pour peu que j'aie intérêt à être faux") mais le probe "Moi" qui lui fait face et sans cesse le querelle n'est pas loin de tenir un même langage désabusé: "Ma foi, ce que vous appelez la pantomine des gueux est le grand branle de la terre." Qui des deux parle pour Diderot? L'un et l'autre, probablement, comme lorsque le neveu démolit la sacrosainte défense de la patrie comme relevant de la vanité: "Vanité. Il n'y a plus de patrie. Je ne vois d'un pôle à l'autre que des tyrans et des esclaves." C'est là, via l'infâme neveu, glisser une critique de la monopensée de l'époque qu'il n'était pas bon de faire choir dans toutes les oreilles, et qui fleure bon l'insoumis Diderot. Toujours plaisantes, enfin, les tournures désormais exotiques: l'invective "âmes de boue" qu'affectionnait aussi Robespierre, le qualificatif "hydropique" appliqué à qui se livre "à la débauche des femmes" ou, assurément jugé sexiste aujourd'hui, cet hommage au deuxième sexe, saluant sa démarche en ponctuant "une croupe! ah! Dieu, quelle croupe!" Même faiblard, Diderot ne déçoit pas.

10. Sylvie Aubenas et Philippe Comar (contemporains), Obscénités, 2001, Albin Michel/Bibliothèque nationale de France, quelque 60 pages, 10 euros (bouquinerie Nuit de Chine), impression MAME (Tours).

Un peu de pornographie pour finir. Présentées par une conservatrice au département des Estampes à la Bibliothèque nationale de France (Aubenas) et un écrivain, professeur à l'École des beaux-arts de Paris (Cormar), les "Photographies interdites d'Auguste Belloc", sous-titre du volume, éclairent d'un jour quasi clinique (au regard contemporain, gavé de cul publicitaire) l'interdit frappant toute exposition de la zone génitale humaine. La quatrième de couverture le précise: ces photos sont les rescapés d'une saisie, en 1860, de cinq mille clichés licencieux dont ne subsistent que les vingt-quatre vues stéréoscopique ici reproduites. Effet insolite garanti. Chacune d'elles montrent une femme, jambes écartées, étalant sa vulve plus ou moins broussailleuse, tout en masquant le visage: par pudeur, gêne ou espièglerie. Difficile de cerner la fascination ressentie par la bourgeoisie d'antan qui avait à se contenter de "ça". L'intérêt est plutôt d'ordre ethnographique, les "bons sauvages" qu'étaient nos aïeux. L'intérêt est tout autant, sinon plus, dans les textes introductifs, richement illustrés de vieillottes images coquines, notamment par l'observation de Philippe Cormar selon laquelle ces clichés peuvent être perçus comme s'inscrivant dans le schéma de la parade sexuelle avec, note-il, "un curieux renversement": dans le monde animal, c'est le mâle qui est le plus coloré, c'est "à lui de se faire voir" et séduire. Chez les humains, c'est resté vrai jusqu'à l'Industrialisation blafarde, couleur fumée de charbon et, puis, fini, redingote et terne costume gris, le parfait anonyme asexué d'une parfaite grisaille - "Chez lui, plus rien n'attire; chez elle, tout accroche." On n'a pas fini de se découvrir soi-même.