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Gymnopédies et escroqueries seraient-elles les mamelles de la vie paginée? Montaigne d’un côté (Quand je danse, je danse), le tiroir-caisse du best-seller de l’autre. Ce n’est pas Onfray qui contredira, ni Hugo, ni Mickey Mousse, pourquoi pas Mickey Mousse? (Il paraît que le Covid affole les rotatives, foi de covidé!)

1. André Comte-Sponville (né en 1952), Dictionnaire amoureux de Montaigne, 2020, Plon, 625 pages, 27,15 euros, impression Normandie Roto. À la page 215, m’informe mon petit signet baladeur, j’ai noté: "Ce ( côté exégèse est un peu chiant. La loi du genre, évidemment." C’est qu’il doit remplir des pages, le camarade André, et pas seulement en recopiant des bons mots. On a donc ici une exégèse, parfois polémique, mais aussi une foule de choses sur ledit camarade car on y apprend autant sur Comte-Sponville que sur le célèbre essayiste (1689-1755). C’est évidemment ce dernier qui intéresse. Sa gigantesque culture, témoin son vocabulaire riche de quelque 435.000 mots (l’adulte moyen, raconte la Toile, c’est 3.000 mots, et entre 20 et 30.000 chez les personnes dites cultivées). Son anticonformisme, tantôt séduisant car au goût du jour (anticolonialiste! le franc-parler sexuel: cet "animal glouton" pour évoquer le sexe féminin!), tantôt dissident aux modes de la bien-pensance (par exemple sur l’amour conjugal, c’est bof, mais l’Institution, elle, a son prix, estime-t-il). Son athéisme fait de louvoiements afin éviter les foudres du fanatisme temporel (il vivait en pleine guerre de religions) et c’est, en creux, ainsi, que se dessine l’absence quasi totale de Jésus dans les Essais, au contraire des références surabondantes aux sages de l’Antiquité préchrétienne. Son vocabulaire délicieusement passé ("Tout ne branle-t-il pas votre branle?") Son credo de libre penseur ("Ma raison n’est pas duite à se courber et fléchir, ce sont mes genoux.") Son anarchisme atavique ("Au plus élevé du trône du monde, nous ne sommes assis que sur notre cul." ou encore "Et les rois et les philosophes fientent, et les dames aussi." Ajouter à cela, précieuses pour qui veut aller à l’original, les informations critiques sur les différentes éditions actuelles des Essais et sur le travail de bénédictin accompli par Roy E. Leake qui a dressé le répertoire de tous les mots utilisés par Montaigne, mille fois mieux que les gadgets du Gafam, qui s’attirent de la part de Comte-Sponville ce commentaire bienvenu: "je ne cesse de pester contre le fatras de Google!". Lequel auteur, cependant, utilise par deux fois le verbe "réaliser" au sens erroné (anglais) du terme – mais laissons-lui le mot de la fin: il faut, dit-il, "Ne rien faire, mais à fond!" (Lire, comme on sait, c’est ne rien faire à fond.)

2. Michel Onfray (né en 1959), Non-dit – Entretiens avec Henri de Monvallier, 2021, Galilée, 96 pages, 12 euros, impression Floch (Mayenne). Voilà une petite chose agréable qui se lit en moins d’une heure, mettons entre deux corvées sans valeur sociale aucune (ceci pour ceux et celles, majoritaires, qui ont décroché un "bullshit job") en le cachant auprès de la pin-up des pages centrales de Playboy, mais là je deviens nostalgique. Agréable mais sans grand intérêt. Onfray le dit lui-même: les livres d’entretien, pouah! ils "servent aux fainéants à une époque fainéante…" Cela étant, et pour se conformer à l’adage selon lequel on lit de préférence le journal qui conforte ses propres préjugés, Onfray assène ici un constat qui, pour être également le mien, est peut-être moins répandu qu’on ne le souhaiterait. À savoir: "Je crois que nous allons vers une inculture planétaire généralisée pour les masses doublée par la formation d’une élite sur le principe égyptien des scribes qui sauront, eux, lire, écrire, compter, mais au service d’un pouvoir qui les appointera." Bref, une dualisation radicale, d’un côté les illettrés googlisés gavés de "dumbphone" et, de l’autre, les îlots d’une République des Lettres en miette. J’aime son mot de la fin, "Je vous rappelle qu’un jour le soleil explosera et qu’il ne restera rien de tout cela – et ce sera aussi très bien comme ça."

3. Walter Tevis (1928-1984), The Queen’s Gambit, 1983, poche Vintage (Penguin/Random House) 2020, 243 pages, 14 euros, impression: USA sans autre précision. Il est des textes qui courent le risque d’avoir à s’effacer devant le version ciné, ou grâce à, d’entamer une seconde vie. C’est le cas du Gambit de la Dame de Tevis que Netflix a saucissonné en sept "saisons" d’environ une heure pour grand petit écran plat, m’informe le grand maître britannique Luke McShane dans une de ses chronique hebdomadaire (The Spectator, 7 novembre 2020). Pour ma part, c’était une recension du Figaro. L’histoire est séduisante. Une petite orpheline casée dans un horrible établissement dickensien qui se découvre un talent de petit génie au jeu d’échecs avec, scandée de tranches de vie folkloriques, ascension jusqu’au firmament des joutes sur 64 cases: championne du monde à Moscou, rien de moins. Le début est prometteur, cette façon, chez Tevis, de raconter sans y toucher, behaviouriste, les actes traduisent la personnalité des uns et des autres. Et puis: construire du suspense autour du ballet assassin des tours, fous, dames et cavaliers, c’est bien envoyé (même si, à un endroit, pataquès: ce roi adverse, ciblé au 14e coup par les deux fous: ce ne peut évidemment être que par l’un ou l’autre, le fou blanc ou le noir). L’héroïne, forcément jolie à l’écran, est décrite comme moche pages 16, 56 et 62 dans le bouquin, mais soit. Comme si Tevis avait prévu que le scénario est comme fait pour le ciné, il y a en outre glissé une petite pause "baise d’enfer" voyeuriste car, enfin, que serait le ciné contemporain sans un peu de porno pour les frustrés de la chose. Ah, encore! Les grands maîtres auxquels s’opposent notre surdouée portent des noms se prêtant peut-être au roman à clés (il y a ainsi, dans la finale moscovite, un joueur de haut vol belge affublé du nom de Jean-Paul Duhamel) mais je laisse à d’autres le soin de mener l’enquête. C’est un petit livre plaisant qui donne envie d’en lire d’autres du même auteur. (On trouve la version française en poche Gallmeister.)

4. Ulf Küster (né en 1966), Gustave Courbet, 2014, Hatje Cantz Verlag, 123 pages, 5 euros (soldé chez Peinture fraîche), impression Offizin Scheufele (Stuttgart). L’achetant, la vendeuse m’a aimablement signalé: "C’est en allemand, vous savez." Ce que je n’avais pas remarqué. Bah! d’autant que, il est très joliment illustré de reproductions – exposées avec un luxe de micro-observations tantôt historiques, tantôt iconographiques. Sa grande toile (1849, 315x668 cm) d’un enterrement dans son village natal d’Onfrans (Jura) comportant quelque quarante personnages: il est quelque peu féerique d’apprendre que le voisinage affluait à son atelier dans l’espoir de figurer (se voir immortalisé) dans le tableau. Et il faut avoir l’œil très peu endormi pour apercevoir, qu’au bord de l’excavation tombale, rôde un crâne shakespearien: le pauvre Yorick, évidemment. Ou cette dormeuse du Hamac (1744, 70,5x97 cm), sensuelle en diable, que notre auteur.e donne comme devant l’instant d’après glisser et chuter dans la végétation marécageuse qu’on ne décrira pas comme perverse: on laisse à des esprits plus mal tournés. Pièce maîtresse naturellement que L’atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale) – 1855, 361x598 cm – auquel, recensé voici peu, Werner Hoffmann a consacré une monographie (éd. Makula). Roman-tableau, en quelque sorte (Baudelaire y figure dans un coin) et, tout aussi approximativement, annonciateur du Courbet.e communard.e (qui lui vaudra emprisonnement et amende exhorbitante): ce qui peut être rappelé en cette année commémorative de l’insurrection du peuple de Paris. Faut-il encore dire un mot du plus que fameux L’origine du monde (1866, Musée d’Orsay) dont on se souviendra que, de propriété privée quasi secrète (peep-show) du diplomate et amateur porno égyptien Khalil Bey, du baron hongrois Ferenc Hatvany et du psychédélique Lacan, il a dû attendre 2008 (New York) et 2014 (Bâle) pour paraître au public. Tout a été dit et, donc, ajoutons juste, à l’adresse des néo-platonicien.ne.s inclusif.ve.s, qu’à bien y regarder, la vulve est une métaphore de la grotte.

5. Tito Dupret (né en 1970), Manuscripture, 2018, éd. Lamiroy, 39 pages, 4 euros, impression "dans la dignité sur les presses de la Maison de la poésie d’Amay" (Belgique). Membre de l’Internationale du Livre, dont on ne manquera pas de visiter la charmante librairie tenue par un chat qui ne sait malheureusement pas ouvrir la porte, Dupret a commis ici un délicieux petit mystère de la chambre close avec, ce n’est guère fréquent, deux personnages antipathiques, l’un dans le genre Amélie Nothomb, l’autre dans le style de Ramón Mercader. En plus, cela se passe à Bruxelles, avenue Lepoutre. Amoureux de la langue française, en sus, il est; et cela donne des "Machin-machine, Émilie sort cahin-caha de chez elle". Deuxième raison de se jeter sur cette petite chose: le projet éditorial des éditions Lamiroy, soit des mini-bouquins de 5.000 mots à 4 euros publiés au rythme soutenu d’un par semaine, auxquels on peut s’abonner pour une bouchée de pain (détail www.lamiroy.be). C’est qu’ils vont finir par nous faire croire que l’avenir est au Livre (la Bonne parole, la Sainte typographie, etc.).

6. Jean Lemaitre (né en 1954), Le parti communiste de Belgique 1945-1985 – Libres entretiens avec Louis Van Geyt, 2015, édition revue et augmentée 2021, éd. Le Livre en Papier, 351 pages, 20 euros, impression à Strepy-Braqcquegnies. Refermant cette somme, on ne peut s’empêcher de se taper la tête d’un tonitruant Sapristi! si seulement Van Geyt avait été le président du Parti communiste de Belgique! Sauf que, justement, il le fut, de 1972 à 1988, et auparavant déjà, tout sauf un moussaillon dans l’esquif. Il le fut et, partant, témoin privilégié d’un jeu de massacre qui verra une organisation qui avait l’appui électoral de plus d’un Belge sur dix (12%) en 1946 dégringoler à 1,8% des suffrages en 1958 et, progressivement, s’effacer du paysage politique: pas loin du groupuscule, aujourd’hui. C’est pour partie un mystère: pourquoi le PCB a-t-il échoué là où, avec un profil voisin, le PTB arrive à cartonner? voire encore, sur le versant escarpé des univers parallèles, pourquoi les Éditions sociales du PCF patatras alors que Delga tralala? Les fins limiers ont ici de quoi lire entre les lignes… Ajouter, outre le récit syncopé – entre interrogatoire et réminiscences au coin du feu – de la trajectoire chaloupée du petit (adolescent) puis du grand (adulte) Van Geyt (1927-2016) racontée par le menu, outre cela, donc, des entremets croustillants offrant à chacune et chacun de faire son choix de menu. Comme par exemple, peu après la Libération, "le plan occidental pour chasser les communistes au pouvoir" en Tchécoslovaquie, vu que cela avait si bien "réussi un an plus tôt en Belgique, en France et en Italie." Ce n’est pas un scoop mais, rappel utile, il y a une majorité silencieuse qui ne sait pas. Ou encore concernant l’ex-fleuron de l’aviation civile belge, la Sabena, dont Van Geyt dit qu’aux plus belles années de la guerre froide, la société était "de fait, sous le contrôle direct des Américains. L’ambassade des États-Unis exerçait un pouvoir régalien sur tout ce qui touchait à l’aviation en Belgique." (Pas seulement là, relire, pour la France, La chute de Paris d’Ilya Ehrenbourg, 1942.) Enfin, il faut remercier le camarade Lemaitre pour – travail de rouge bénédictin – un imposant appareil critique qui vaudrait en soi un bouquin sur le Who’s who did what durant cette période, pas si lointaine, non, non.

7. Marc Metdepenningen (1958-2020), Crimes et châtiments dans l’histoire judiciaire belge, 2019, éd. Racine, 227 pages, 19,95 euros, impression: Pays-Bas (sans autre précision sinon, ajoutons, Racine appartient au groupe néerlandais Lannoo). Ici, un immense regret: à ce vieux camarade de classe en journalisme, j’avais dit, voici peu, que j’achèterai son livre, qu’une dédicace rendrait pour moi sans prix: Marc est mort avant que je ne puisse, et ça, c’est irréparable. Grand buveur devant l’éternité, comme sa chère et tendre Catherine, partie bien avant lui sur un nuage rose, Marc était un journaleux de la vieille école, donc de grande classe, cynique juste ce qu’il faut, ironique le reste du temps, la vie, n’est-ce pas, il n’en est pas de grande et ça fourmille de cons. Il s’était fait une niche dans le judiciaire, le vaudeville de la justice, les petites gens qu’on spotche à bredouiller sur le banc infamant et la noblesse de robe, les bien-nés, les fils et fifille à papa, sur l’estrade où on juge du haut de sa morgue. C’est plus drôle, façon de parler, que les coulisses à potins de la politique intérieure, qui exige une solide dose de servilité incestueuse à l’égard des pingouins ministériels rabâcheurs de discours à dormir debout. Dans ces vingt-cinq chroniques, Marc a tourné le dos au pseudo-vécu pour se faire fait-diversier des éruptions passionnelles du 19e , un temps où on exposait le condamné soumis au supplice du carcan sur la Grand’ Place, où on décapitait aussi, où on se faisait pyromane par jihad religieuse (catholique) pour maudire un pouvoir communal coupable d’avoir aménagé un cimetière impie, où on tuait pour un rien, comme aujourd’hui, et où existait un ciment social pouvant soulever des montagnes ou, à tout le moins, affronter la mort conforté par l’illusion d’un ordre supraterrestre: tel accusé, en aveu, implorant son complice en assassinat, de faire de même, car c’est "avec recueillement qu’il faut accueillir la terrible leçon donnée à quiconque pourrait être capable de se laisser entraîner à commettre de semblables forfaits." C’était comme ça avant? Allez savoir.

8. Victor Hugo (1802-1885), Choses vues 1830-1871, éd. La Palatine (Genève) 1944, 555 pages, 10 euros (bouquinerie glop), Imprimerie Paul Attinger (Neufchâteau, Suisse). Que ferait-on sans Victor Hugo, je le demande? Le style, l’œil: son portrait de Talleyrand, qui s’élance "Rue Saint-Florentin, il y a un palais et un égout.", du bey de Tunis, mélange de "charlatan de carrefour, de tambour-major de régiment et de suisse de cathédrale", de Mme de Chateaubriand, "personne maigre, sèche, noire, très marquée de petite vérole, laide, charitable sans être bonne, spirituelle sans être intelligente.", de Thiers, "Spectacle étrange que ce petit homme essayant de passer sa petite main sur le mufle d’une révolution." ou de son ennemi juré, "Napoléon le Petit" (dans le texte), mentionné à la parution, sous ce titre, en 1870, de ce pamphlet – qu’on relira, évidemment. Au fil de ces notes, croquis et pensées de journal intime, on voit Hugo, à tu et à toi avec le roi (Louis-Philippe, le "Roi-Citoyen") et Guizot pour ensuite, député de l’Assemblée (avec des hauts et des bas de 1848 à 1851), traverser les insurrections de 1848 (fort commentées ici) et de 1871 (il fera sortir Louise Michel de prison). On le verra aussi, exilé, à Bruxelles, au numéro 4 de la place des Barricades, où il se fera caillasser par une canaille de la bourgeoisie, guère plus bienvenu que Marx ou Baudelaire. Ami des putes, il en célèbre deux, défiant sur une barricade en 1848 la soldatesque, robe levée jusqu’à la ceinture, la deuxième, "presque une enfant, dix-sept ans à peine", tombant "trouée de balles sur le corps de la première." Ami de Balzac, aussi, dont il côtoiera l’agonie – "un génie", dit-il. Ses notes sur les septante-deux jours de la Commune sont laconiques, on mange des rats, puis de l’éléphant (abattu au Jardin des Plantes), quand ce n’est pas rien du tout. Au début du siège, en janvier, en six jours, ce sont 25.000 projectiles prussiens qui frappent Paris. Au déclenchement de l’insurrection, il part à Bruxelles, retourne à Paris, se dit ni rouge, ni blanc, plaide pour la vie des vaincus, erre en ville, observant ce qu’il est advenu des maisons qu’il a habitées depuis son enfance, presque toutes démolies, "pour faire une place (…) une rue (…) une cour". L’urbanisme ne se comporte guère autrement qu’une armée d’occupation.

9. Elmar Grinn (1909-1999), Vent du Sud, années 40, éd. Hier et Aujourd’hui, 1948, trad. D. et A. Vexliard, 254 pages, 3 euros, impression Louis Jean (Gap, Hautes-Alpes). L’auteur, passablement inconnu sur la Toile, m’avait paru bien sympathique en 2017 en l’exhumant d’une caisse de bouquiniste poussiéreux. Cette fois, cependant, les roues de la charrette grincent de routine somnolente, à moins que ce ne soit la plume. C’est du réalisme ouvriériste à la sauce paysanne, un pauvre plouc des confins de Pologne doté d’un maigre arpent caillouteux et d’une cabane que le soleil visite rarement, le tout cadeau de son patron en échange de corvées emphytéotiques – et il en est content, le pauvre bougre, que son frère plaint en l’arrosant de sarcasmes: parti, lui, tuer du nazi avec l’Armée rouge. Ça se lit mais si ça se lit pas, on n’a rien perdu.

Venons-en aux escroqueries de l’industrielle culturelle, le business de l’édition mercantile. Il y en a deux:

10. Thomas Gomart (né en 1973), Guerres invisibles – Nos prochains défis géopolitiques, 2021, éd. Tallandier, 289 pages, 20,90 euros, impression Corlet (Normandie). "Ils sont vendus à l’Otan." C’est un ami qui me disait cela, à propos de l’Ifri, l’Institut français des relations internationales, dont Gomart est le directeur. Pour nombre de personnes, note le site de l’École de guerre économique, l’Ifri est une des "vitrines pro-atlantistes". Gomart lui-même est par ailleurs une personnalité bien notée et en bonne place sur le site de l’Otan. Mais, passons. Car c’est le bouquin dont il est question: pure escroquerie sous un titre faussement ronflant, ce n’est qu’une compilation de fiches statistiques et de chronologie historique sans intérêt, liées entre elles par un raisonnement bancal digne d’un potache studieux mais pas très futé, adepte du recopiage et de la bonne parole convenue. À lire Gomart, le moindre pépin géopolitique est signe de "crise systémique" et, manifestement, il n’a pas enregistré le fait que Trump n’est plus le président des États-Unis (43 renvois dans l’index dans un bouquin publié en janvier 2021!). De la Chine, on apprend que sa politique "vise à redessiner l’ordre international sans le révolutionner": c’est ce qu’on appelle parler pour ne rien dire. C’est la deuxième fois que je me suis fait piéger par une recension louangeuse du Canard enchaîné (laissant entendre que l’auteur met habilement en lumière les guerres "invisibles": entendez le climat, le commerce, le numérique, etc. – qui n’ont absolument rien d’invisibles): on ne m’y reprendra pas.

11. Mallarmé (1842-1898), Pour un tombeau d’Anatole, 1879 (environ), éd. Points Seuil 2020, 352 pages, 8,30 euros, impression Normandie Roto (Lonrai). Escroquerie deuxième. En 1879, le fils de Mallarmé, Anatole, meurt à l’âge de huit ans. Le papa, effondré, noirci page sur page, quelque deux cent feuillets, ébauche d’un poème, peut-être, on ne le sait: ils iront dans un tiroir. Fin de l’histoire? Nenni, car après la mort du poète on exhume, pire, on publie – et dans cette édition, ce pillage de tombe donne plus de cent vingt pages d’exégèse scolastique d’un intérêt éventuellement académique, donc barbant, il n’est pas d’autre mot. Quant au "poème", ce n’en est pas un, mais un premier jet de notes en vue de, un projet, sans plus, et par l’auteur abandonné. Rideau.