Décembre a des allures de ligne droite. À tombeau ouvert vers le fade néant de l'année nouvelle. À plusieurs, dans une Oldsmobile fifties décapotée, c'est plus déluré. Sur la banquette arrière, Thomas Hardy entonnant une chanson à boire en duo avec le petit merle de compagnie de Vinciane Despret. Assoupi à la "place du mort", ronflant mélodieusement, J. L. Austin. Sur ses genoux, rêvant à Ulysse, Barbara Cassin. Au volant? Ben personne, tiens! Bagnole hybride, mi-vaisseau fantôme, mi-train fou.
1-2. John Langshaw Austin (1911-1960), Philosophical Papers, 1939-1956, Oxford University Press, 1961, 239 pages, (achat en ligne, biblio.com), impression University Press (Oxford) et Quand dire, c'est faire, 1962, 179 pages, 7,80 euros, impression Normandie Roto (Lonrai). Du second, disons de suite: assez indigeste. Austin y développe son analyse des catégories d'énoncés (constatif, promissifs, etc.) auxquelles il adjoint l'énoncé "perlocutoire" où parole et acte se confondent (ex. Je baptise ce navire = crash, la bouteille vole dessus), d'où le titre. Austin, philosophe britannique du no-nonsense langagier, mort trop tôt, n'a pas son pareil pour, secouant légèrement les concepts chéris de la philosophie (l'Être, la Réalité, le Vrai), conclure avec un gloussement contagieux: ça sonne creux, pas de doute, c'est vide. Ce qui le conduit, notamment, à suggérer qu'une proposition, quoiqu'en disent les logiciens, peut être ni fausse, ni vraie, mais malheureuse (tout à fait à côté de la plaque). Sur la méthode, exquise, d'Austin, le premier livre, recueil de dix articles et conférences, est plus éclairant et, partant, plus gratifiant. Forçons le trait et disons que, valant axiome chez Austin, un mot ne peut être compris qu'à l'intérieur de la phrase dans laquelle il a trouvé place, chez X, Y ou Z. Seul, le verbe substantivé "être" n'a aucun sens. Crécelle de philosophe ou de théologien, c'est kif. À l'axiome, un fil à plomb: c'est l'usage d'un mot/phrase dans le langage commun (mettons celui, ordinaire, de "l'honnête homme" avec sa légendaire bibliothèque) qui doit déterminer, de même que, en second ressort - ben tiens! -, le dictionnaire. Austin entend un philosophe pérorer et, direct, c'est minute papillon, je vais voir ce qu'en dit le dictionnaire. Résultat: patatras. Autant dire, on lit Austin avec une joie intérieure mal contenue. D'autant que, en plus, très british, il a de l'humour. Discutant de l'intentionnalité susceptible de gouverner un énoncé, il note que "je peux difficilement dire ni que je suis assis sur une chaise intentionnellement ni que je n'y étais pas assis intentionnellement." Un humour qui, parfois, vaut son pesant d'or. Terminant une de ses conférences, il conclut: "Quel est, en fin de compte, l'importance [de tout ce qu'il venait de dire] ? J'y repondrai sous peu, quoique je ne sois pas sûr que l'importance soit si importante". Ah! mieux qu'un baba au rhum.
(*) M'a été introduit par Barbara Cassin. Voir plus loin.
3. Jean-Claude Milner (né en 1941), Relire la Révolution, 2016, Verdier, 279 pages, 16 euros, impression Normandie Roto (Lonrai). Livre pour le moins étrange. Jusqu'au cinquième chapitre, sa relecture filtrante de la Révolution française suit le chemin escarpé du raisonnement de haut niveau, séducteur de l'esprit critique, puis, peu à peu, cela devient du pur délire, émotif, forcément émotif. Sur cette première partie, ouvrant moult aperçus inattendus (sur l'énigme Robespierre-Saint-Just au 8 thermidor, notamment) et de bienvenus contrepoints (p.ex. sur le caractère clément de la Terreur: venant mettre un terme aux massacres indiscriminés par réintroduction de la légalité d'une mise à mort). On retiendra néanmoins comme principal défaut l'absence de définition de ce qu'il entend, et répète à l'envi, par son concept (jugement de valeur) de "croyance révolutionnaire" qui sous-tendrait tous les procès historiques de renversement collectif du pouvoir établi. (Pour lui, 1917, c'était raté, et 1949, encore raté.) Fait encore défaut, devant le constat de la relativement récente (années Mitterrand) diabolisation, puis occultation de la Révolution française (de même que du marxisme qui était, jusqu'aux années 1960, "la seule [théorie] que les lettrés aient adoptée sans réserve."): on eût aimé qu'il explique un peu - mais peut-être n'en sait-il rien. S'agissant de la partie délirante, qu'on sent mue par le spectacle désolant du sort fait aux migrants échoués et dans laquelle il développe une théorie maximaliste et quasi fusionnelle des droits des humains (il n'est qu'une humanité exigant amour de tous pour tous, je caricature), on n'est pas loin de la théologie. Assez proche, faut bien dire, d'un courant de pensée sentimentale aujourd'hui à la mode.
(*) Ma lecture d'Alain Badiou m'a fait choir sur cet auteur. Souvent mieux inspiré...
4. Fernando Pessoa (1988-1930), Fragments d'un voyage immobile, 1914-1935 environ, Rivages poche, rééd. 2017, 112 pages avec 40 pages de préface signées Octavio Paz (1961), 6,60 euros, trad. Rémy Hourcade, impression CPI (Barcelone). Ce n'est faire honneur, ni justice, à Pessoa que d'aligner ces 241 aphorimes pêchés à la va-comme-je-te-pousse. La prédominance du "je" irritera plus d'un. La décontextualisation, aussi (une phrase extraite d'une lettre, qu'on eût aimé lire en entier). Mais Pessoa a le sens de la formule: "J'ai passé ces derniers mois à passer ces derniers mois. Rien d'autre, un mur d'ennui surmonté de tessons de colère." Qui dit mieux?
(*) C'est un auteur que l'industrie culturelle visibilise. Donc, ça donne l'idée d'aller voir.
5. Thomas Hardy (1840-1928), The Woodlanders, 1887, éd. poche Macmillan, 1974, 393 pages, 50 centimes, bouquinerie Croix-Rouge), dernière rééd. en français (Les forestiers) chez Phébus, 2009. C'est un mélo mais le mélo, parfois, pourquoi non? C'est aussi le tableau d'une autre époque (on ne rigole pas avec le mariage, une union malheureuse, c'est pour la vie). Et c'est encore, toujours actuel, une autopsie de la société de classes: les bouseux du travail de la forêt dont le logement est propriété de la petite noblesse terrienne, le petit patron qui brûle ses économies pour que sa fille reçoive une éducation valant ticket d'entrée dans le beau monde. Mais Hardy, c'est d'abord son empathie pour la nature, elle anime sa plume comme peu de poètes arrivent à en transmettre la communion. Il est autant question ici d'êtres humains que d'êtres bruissant dans le feuillage des arbres, se faisant mousse et trèfles sous les pas, pianotant par mille gouttelettes des huttes qui, percées, doivent s'avouer vaincues, ou émergeant d'une clairière sous la forme d'un écureuil dont le petit cri vaut rappel à l'ordre: vous êtes chez moi! Quand on ne sait quoi lire, c'est vers Hardy qu'on se tourne.
(*) Découvert grâce à Virginia Woolf et le portrait attachant qu'elle a dressé de lui en 1928, voir ses "Essais choisis" (Folio, 2015). De Hardy, c'est, depuis: tout lire.
6. Barbara Cassin (née en 1947), La nostalgie, 2013, rééd. poche Fayard, 2018, 148 pages, 7,30 euros, impression CPI. Allez savoir pourquoi on se prend d'affection pour un auteur, en l'occurence, une autrice. Son élection récente à l'Académie a médiatisé son visage auréolé d'une flamboyante crinière et, certes, elle est attrayante - on veut dire: sur photo. Mais ce qui séduit, c'est bien plutôt son appartenance à la tribu enthousiaste des lettrés (passionnés des lettres) ayant le don pour faire découvrir d'autres horizons. Avec cette brève méditation sur la nostalgie, pour partie nourrie par l'actualité des exodes de celles et ceux qui prennent le chemin de l'exil, Cassin invite à penser ce que signifie notre enracinement territorial, ainsi que son contraire: l'être déraciné. L'allemand, avec son Heimweh (mal du pays), rend la nostalgie parlante. Hannah Arendt figure en bonne place, aux côtés d'Ulysse, dans la réflexion, elle pour qui, devenue apatride, ne restait, pour relier à soi, que la langue maternelle. Voire son fantôme: en 1943, signale Cassin, Arendt disait, parlant pour tous les réfugiés, "Nous avons perdu notre foyer, nous avons perdu notre profession, nous avons perdu notre langue maternelle, c'est-à-dire nos réactions naturelles, la simplicité des gestes et l'expression spontanée de nos sentiments." Dans le monde dévasté dont le fracas assourdi s'insinue de plus en plus dans notre quotidien, voilà qui vaut d'être re-pensé.
(*) Fait partie des auteurs placés dans la catégorie "tout lire", ce après une première rencontre fortuite dans les pages d'Alain Badiou, rarement de mauvais conseil.
7. Barbara Cassin (c'est la même), Google-moi - La deuxième mission de l'Amérique, 2006, Albin Michel, 254 pages, 16,90 euros, impression: non communiqué. Comme elle le note avec justesse, signe des temps: "Demain, ce qui ne sera pas disponible en ligne risque de devenir invisible à l'échelle du monde." C'est de Chirac, qu'on aurait tort de prendre pour un clown. Et elle ajoute, sur le mode de la litote, que ce qui ne figure pas dans les résultats d'une recherche sur Google a désormais "très peu d'existence". Bref, c'est un bien joli tour d'horizon critique que Cassin offre ici du meilleur-des-mondes-numérisés (connu également comme la société de l'ignorance). Google, rappelle-t-elle, efface l'atypique, marchandise l'école, vole toutes nos données et enfume l'action politique d'une "démocratie des clics" (même du côté de la gauche dite radicale). Idem avec Wikipedia et sa "doxa molle en style mou": certes, "utile quand on ne connaît rien mais souvent à pleurer quand on connaît un peu (demandez «Platon»)." Inutile d'en rajouter... J'ai la méchante impression de prêcher à des convaincus.
(*) Cassin? Voir ci-dessus.)
8. Jean-Marie Klinkenberg (né en 1944), Qu'est-ce que l'écriture? 2018, collection Académie en poche, Académie royale de Belgique, 138 pages, 7 euros, impression PR-Print (Nivelles). Disons de suite: un petit livre affreusement jargoneux, à croire que certaines disciplines scientifiques, pour exister, doivent parler un "chinois" compréhensible des seuls membres de la chapelle. (Ce "trait définitoire" où on devine banalement un "trait valant définition", ce "caractère de concrétude" qui donne mal à la tête au premier "caractère concret" venu, ou encore ces "énoncés performés", mama mia!) Mais faut avouer, c'est très joliment illustré d'hiéroglyphes aztèques, d'alphabet inuit et de pictogrammes signés Queneau; et, ici et là, on apprend même des choses savoureuses, tel le fait que la vue est supérieure à l'ouïe et, partant, le livre aux mots prononcés (panel-débat, radio, télé, ciné): c'est qu'en effet le "canal visuel (...) permet d'acheminer 10⁷ bits/seconde, soit sept fois plus que l'oreille dans le même laps de temps." Pour qui veut savoir ce qui agite le bocal linguistique autour du rapport entre oral et écrit (ceci transcrit-il cela ou est-ce Autre Chose?), la synthèse décortique fort savamment.
(*) C'est le titre (le sujet) qui a attiré. Aperçu sur une table de la Foire du Livre 2019, Bruxelles.
9. Vinciane Despret (née en 1959), Habiter en oiseau, 2019, Actes Sud, 197 pages, 20 euros, impression Normandie Roto (Lonrai). Une fois n'est pas coutume, l'attrait est venu de la très belle couverture (on ne s'explique pas pourquoi, en général, elles sont si moches). Des premières lignes, ensuite, une ode au merle matinal. Puis, le sujet, évidemment: qui ne rêve pas de renaître oiseau? Ms Despret, philosophe et psychologue à l'Ulg, explore avec bonheur partageux la notion de territoire chez nos frères et sœurs du monde animal (leur "repli identitaire" pour causer JT). Le fait, par exemple, que mammifères et oiseaux, c'est pas du tout la même chose. Les premiers marquent leur zone d'influence en cachette, les seconds claironnent à tue-tête, c'est toute la différence entre J'y étais et J'y suis. (C'est plus compliqué chez les humains: poste de douane, passeport, "tracking" numérisé). Il y a eu plein de doctes théories pour expliquer l'attachement patriotique des zoizeaux: ressources alimentaires, qualités reproductives, démographie, facteurs régulatoires, etc. Ce genre de modélisation, c'est comme les régimes amaigrissants, ça va et ça vient. Despret inverse: ce n'est pas l'oiseau qui possède un territoire, c'est le territoire qui possède l'oiseau. Je trouve ça poétique. Truc amusant de type poire pour la soif: le passage moqueur où elle démonte l'absence de sérieux d'un sociologue (Zygmunt Bauman) cherchant à prouver un penchant "multiculturel" (comprenez: biologique) chez les guèpes alors que la base factuelle, non consultée par ledit militant, le contredisait. Et, puis, sympa, bien mises en valeur, les femmes ornithologues amateurs qui n'avaient rien à envier, que du contraire, à leurs collègues académiques. Vinciane Despret a déjà beaucoup publié. Va falloir s'y mettre.
La couverture! : https://www.actes-sud.fr/catalogue/animaux/habiter-en-oiseau
(*) Découverte sur l'étal du libraire... Le sujet + la couverture: difficile de résister.
10. Philippe Drecq-Espargelière (à voir ses photos sur Facebook: bien passé la cinquantaine), Au cœur de la baleine, 2018, éd. F. Deville, 78 pages, 12 euros, impression CPI. Cela se lit très vite et c'est tant mieux parce que ce petit conte, c'est plutôt pour adolescents, une aventure au grand large mêlant héroïsme de bande dessinée et communion WWF féerique avec la Nature (les baleines, il ne faut pas les tuer, c'est des êtres humains comme nous). Petit bain de jouvence.
(*) Abao n'est pas seulement une librairie et un (délicieux) salon de thé, c'est aussi la petite maison d'édition F. Deville bien présente sur les étals. À encourager, évidemment.
11. Philippe Muray (1945-2006), L'Empire du Bien, 1991, rééd. poche Perrin 2019, 142 pages, 8,70 euros, impression Normandie Roto. J'avais entamé ses Essais (Les Belles Lettres, 2010, 1.741 pages) annotant furieusement jusqu'à la page 1.200, environ, puis, lassitude. S'agissant de cette réédition, la première question qui vient à l'esprit, c'est: pourquoi? Pourquoi en 2019, près de trente ans après parution? (Même question au sujet de Hannah Arendt, redevenue aussi commercialement populaire que, mettons, Astérix ou Marc Levy, alors que pourtant, ou because, réac' la dame Arendt, préférant Burke à Payne, c'est dire.) Mais, donc, pourquoi Muray, en 2019? Il est mort en 2006. Et sa thèse, répétée à toutes les pages, c'est grosso modo du Guy Debord (mort en 1994) à du 10.000 Volt en micro-ondes. Le constat, en deux mots: tout est devenu Spectacle et c'est obligatoirement Festif. À voir nos piétonniers ludiques, nos festivals permanents, nos bars stéréotypés cadencés techno': rien à redire. C'est la vision désolante pour quiconque pousse le nez hors de chez soi. Mais, pourquoi en est-on arrivé là, pourquoi sommes-nous tombés aussi bas? Muray n'en souffle mot, soit qu'il ne sait pas, soit qu'il s'en fout. Moi, ça me fait dire: où est le double expresso, où est le pousse-café?
(*) Outre que Muray figure parmi les refuzniks à la mode et que j'en avais déjà un, çui-ci, plutôt mince, invitait à un second essai.
12. Ivan Maisky (1884-1975), Journal 1932-1943, Perrin, coll. Tempus, 993 pages, 17,35 euros, trad. (de l'anglais) Christophe Jaquet, impression: non communiqué. Pour qui s'intéresse au XXe siècle (siècle du nazisme pour les uns, simultanément siècle du communisme pour les autres), Maisky est une mine. Ambassadeur soviétique à Londres 1932-1943, témoin direct des protagonistes de la conflagration (Churchill, Lloyd George, Anthony Eden, Edward Halifax, Litinov, Molotov et, avec une loyauté déférente qui ne sera guère récompensée, Staline), il fut une des sources majeures, pour Moscou, sur ce qui se tramait dans les coulisses londoniennes durant les premières années de la Seconde Guerre mondiale - avant de tomber en disgrâce, placard doré d'abord, prison préventive ensuite (après la mort de Staline) et, enfin, réhabilitation. Il aura eu une longue vie, de même que, souterraine, cette fois, son journal: ce n'est qu'en 1992 qu'il sortira presque par hasard des archives d'État pour entamer une carrière publique en traduction anglais (trois tomes chez Yale) et, abrégé, en français (ce millier de pages). Court tel un fil rouge, la demande russe d'ouverture d'un second front, sans cesse repoussée, levant le soupçon légitime, conforté par de multiples sources, que l'allié britannique ne voyait pas d'un mauvais œil l'affaiblissement sanglant de l'URSS sous la conduite de Hitler. Ajouter la masse de petits faits croustillants, sur Spaak laissant sa famille en Belgique occupée (source d'entrisme nazi?), sur de Gaulle entouré de louches types de la droite radicale ("J'en ai marre de cette Jeanne d'Arc en pantalon" s'énervait Churchill), sur l'incroyable proposition testée auprès de Maisky par Chaïm Weizmann, président de l'organisation sioniste (déplacer le milllion d'Arabes de Palestine en Irak pour faire place à l'exode juif), sur le goût de Lénine pour l'Appassionata de Beethoven et, bien sûr, sur la mascarade honteuse des "démocraties" avant le début des hostilités (Guerre d'Espagne, Tchécoslovaquie, Munich). Faut lire en entier. C'est volupté pour les petites cellules grises à toutes les pages.
(*) C'est une recension (supplément lit' du Monde ou du Figaro, l'un ou l'autre) qui a attiré.
13. Willy Kyrklund (1921-2009), Hermelinens död, 1954, Holger Schildts Förlag, 99 pages. Mentionné en passant, introuvable en français. Donc, en dire du bien, à quoi bon? Il y a chez lui du Hoffmann, du Rilke, du Bradbury et du Lewis Carroll. Lecture en tapis volant.
(*) Renseigné par un ami qui le porte aux nues. Avec raison.
14. Jan Myrdal (né en 1927), Ett andra anstånd, 2019, Nortstedts, 400 pages, environ 28 euros, impression ScandBook. Gageons qu'il ne sera pas traduit malgré une renommée internationale (mémoires d'enfance chez Actes Sud, p.ex.), comme militant, et dernièrement, passé 80 ans, en reporter de la guérilla maoiste en Inde (Red Star over India) et, comme nul autre en Suède, polémiste voltairien (ses bouquins font 15 mètres d'étagère), apprécié des uns, détesté des autres. À près de 92 ans, il a eu le temps de travailler son style, inimitable: son deuxième infarctus devient dans cette méditation rétrospective au soir de sa vie "Aujourd'hui, une semaine après que je ne sois pas mort (...)" La mort, évitée de justesse et donnant le titre au livre (Un deuxième sursis), marque de sa présence ces pages, quoique tout autant - Eros & Thanatos! - le sexe, dont il détaille, assez crûment, tant les étreintes personnelles que les côtés grimaçants de la misère sexuelle: ces femmes de 50-60, veuves ou unies à un partenaire impuissant, dont il a repéré dans sa petite localité les photos dénudées mises sur les "réseaux" pour trouver à combler les pulsions inassouvies. La misère sexuelle, pour mémoire: tabou. Myrdal voit un tabou et, torero, il fonce dedans. Mais il peut être drôle, aussi. Pourquoi l'attrait masculin pour les seins des femmes alors que le taureau, les mamelles de la vache, ça le laisse froid? (Réponse: la calamiteuse station debout). Et caustique: pourquoi le chemin de fer a-t-il perdu la bataille de l'avenir contre le bitume déroulé en tapis rouge à Ford? (Réponse: le lobby pétrolier). Myrdal, un type comme on en voit guère. À seize ans, il claque la porte de l'école car on y apprend rien et elle ne fait que freiner la soif du savoir. Au lieu, il se fait journaliste, début d'une belle et longue carrière.
(*) Inutile de préciser que, en Suède, la conscience politique nourrie de Myrdal vient comme avec le lait de maman, on y prend goût très tôt.
Post-scriptum: quelques fois, il m'a été demandé comment le choix de mes lectures s'est fait, question qu'il m'arrive de me poser aussi. D'où, désormais, marqué par un astérix et noté en italique en fin de notice, ce que je peux en dire.