1. Bernard Pivot (né en 1935), La mémoire n'en fait qu'à sa tête, 2017, Albin Michel. Verdict: léger. On peut ajouter: nul, poubelle. Sa célébrité télévisuelle est d'évidence le seul argument de vente. On se serait attendu à quelques beaux souvenirs d'écrivains rencontrés mais: rien. La faute au grand âge peut-être.
2. Céline (mort en 1961, sur Google, nota bene: quasi évincé par Céline Dion et les sacs à main Céline-LVMH), Guignol's band, 1944. Franchement pas très bon mis à part la première section sur une colonne de fuyards bombardés par la Luftwaffe ("Surgit un bébé tout nu sur l'avant d'un camion en flammes. Il est rôti, tout cuit à point..."). Principal intérêt: bibliophile. Bouquin jauni daté 1944 aux Éditions de la Toison d'Or, Bruxelles, des collabos notoires.
3. Stefan Zweig (1881-1942), Le wagon plombé, 1927, poche Payot 2017 avec traduction nouvelle d'Olivier Mannoni ainsi que, datant de 1931, Voyage en Russie et Sur Maxime Gorki. Un petit livre exquis que ce récit de Lénine rejoignant la Russie le 9 avril 1917, tel un "projectile [qui] atteint la cible": des "millions de projectiles destructeurs ont été tirés pendant la guerre mondiale (...) Mais aucun n'a tiré à plus longue distance, aucun n'a joué un rôle aussi décisif dans toute l'histoire récente que ce train qui, chargé des révolutionnaires les plus dangereux, les plus déterminés du siècle, quitte la frontière suisse (...) pour atterrir à Saint-Pétersbourg et y faire éclater l'ordre du temps." Épique! En cette année du centenaire, lecture obligée.
4. Cioran (1911-1955), Bréviaires des vaincus, 1940-1944, poche Gallimard collection Arcades 2010 (trad. Alain Paruit). Le premier Cioran que j'ai lu, et le dernier. C'est d'un nombrilisme absolu. Réfugié roumain à Paris, en pleine guerre, il n'en a que pour ses états d'âme: l'occupation? connaît pas. Les nazis, la gestapo règnant en maîtres dans la capitale des Lumières? pas dans son champ de vision. Logique, après tout: un passé de facho, Cioran.
5. Gérard Genette (né en 1930), Postscript, 2016, Seuil, coll. Fiction & Cie. C'est, pour résumer au picrate, du bavardage érudit. Il y a bien quelques anecdotes amusantes, telle celle de la riche Écossaise passant au journal local un faire-part pour son mari défunt et, apprenant qu'elle a droit à cinq mots pour le prix de deux, élargit un chouïa: "Fred died. Jaguar for sale". Mais il faut se farcir les "Je me suis souvent demandé pourquoi", les "Je me reproche parfois une tendance", les "J'ai au contraire, parfois, une faiblesse", etc. C'est je, je, je et moi, moi, moi. Sur près de 300 pages.
6. Alain Finkielkraut (né en 1949), La défaite de la pensée, 1987, Gallimard NRF. Dans les bouquineries, il fait partie de ces péroreurs (BHL, Onfray, Glucksman, etc.) dont les tonnes d'invendus font ployer les étagères. Moi, c'est pour deux fois rien dans une vente Croix-Rouge. Me suis dit que j'allais juger sur pièce. Mauvais de A à Z: non, mais très léger et scolaire. Il faut aller à la dernière page pour, soudain, voir incriminé ce qui n'intervient nulle part dans son lamento: là, enfin, il est question de "l'industrie du loisir" comme force nivellante et crétinisante. Un embryon d'analyse économique qui vient in extremis clore un raisonnement qui, jusque-là, ne broutait en vase clos que du débat d'idées (Renan, Herder, Lévi-Strauss & Cie), c'est forcément indigent, une pure perte de temps. Dire qu'il s'est bâti une réputation sur ça...
7. Goethe (1749-1832), Mémoires (1811-14), Éditions de Cluny, 1942. Je me suis rendu compte de l'erreur après l'achat, de retour chez moi: c'est une traduction (André Cœuroy) "resserrée", donc écourtée, lissée, par définition non fidèle àl'original. Le récit des vingt-six premières années (1749-1775) du grand poète n'en reste pas moins un délice. Génie précoce! apprenant l'hébreu et le grec quasi adolescent, accouchant d'un mémoire de fin d'études universitaires à 22 ans, dans lequel il démontre "que toutes les religions ont été fondées par des conquérants, des rois, des hommes puissants", curieux de tout et évoluant en excellente compagnie, ces soirées, par exemple, où les échanges épistolaires, soigneusement conservées, étaient lues "tout haut dans des réunions d'amis." Grand homme, grande époque.
8. Homer (8th century before our era), The Odyssey, translated by TE Lawrence, published 1932, Wordsworth Classic reprint 1992. I wrote a short piece on this grand epic on my blog: erikrydberg.net/articles/homer-one-us
9. Albert Severyns (1900-1970, juriste chargé de cours à Liège), Les dieux d'Homère, 1966, dans la charmante collection "Mythes et religions" des Presses universitaires de France. Répertoire raisonné des moeurs divines, lu après le précédent. Compagnonage littéraire.
10. Kamel Daoud (né en 1970, Algérie), Mes indépendances, 2017, Actes Sud, réunissant ses chroniques 2010-2016, principalement dans Le Quotidien d'Oran. Un garçon écorché, Daoud, coincé entre les féodalités proche-orientales et les non moins obscurantistes islamistes. C'est une longue complainte sur une absence: démocratie chérie, où es-tu? Il frappe souvent juste: "Daesh a une mère: l'invasion de l'Irak. Mais il a aussi un père: l'Arabie saoudite et son industrie idéologique." Autant dire: tant que l'Occident déclinant ne s'attaque pas au "papa", tout l'arsenal "anti-terroriste" n'est qu'esbrouffe hypocrite et inutile. C'est par ailleurs une interminable (450 pages) célébration de l'Algérie et de sa langue (quoique, pas à une contradiction près, Daoud écrit en français), donc, un tantinet exotique et d'un intérêt médiocre pour le lecteur du Vieux Monde" (déclinant).
11. Hans Isaksson (född 1942), Äntligen, Karneval förlag 2013, samling korta krönikor 1996-2012. Isaksson kan man inget annat än gilla. Han skjuter skarpt och det är inte många som gör ännu nuförtiden (Myrdal, Guillou, Lindelöf och sen är det nästan slut). Han är i det snärtigaste laget här när han, 2012, sammanfattar EUs roll efter Sovjets nederlag och upplösning: "Genom EU skulle snart socialismen i praktiken förbjudas i Europa." Väl värt att begrundas. Ta och läs Isaksson!
Pour le lecteur francophone, on reprend la citation sur l'Union européenne, par laquelle, dans le sillage de l'effondrement de l'URSS, "le socialisme sera bientôt dans la pratique interdit en Europe." Dit comme cela...
12. Henri Lefebvre (1901-1991), Critique de la vie quotidienne, tome 1, 1945, avec un (long, moitié de l'ouvrage!) avant-propos de 1956, éditions de L'Arche. Parmi les auteurs marxistes les plus intéressants, et les plus négligés (sur le site encyclopédique marx.org: inexistant! tant dans les pages françaises qu'anglaises). Les rééditions sont rares mais, heureusement, il y a les bouquinistes. À Bruxelles, fouiller chez Aurora, 34 avenue Jean Volders, à Saint-Gilles. Lefebvre, donc, invite à une relecture du monde en partant du plus concret, c'est quasi un programme: "la vie quotidienne comporte une critique de toute politique". Et ce dès qu'on sort de chez soi, dès qu'on est dans la rue: la ville est livre qui, entre autres, nous raconte "la décomposition presque complète de la communauté, l'atomisation de la société en individus «privés»", privés de tout, dépossédés, anonymisés - la masse salariale, métro-boulot-dodo. L'intérêt de vieux textes comme ces deux, outre leur qualité intrinsèque, est qu'ils donnent à voir ce qui sépare 1945 de 1956 (de la quasi certitude d'une révolution mondiale dans le sillage de l'Armée rouge au ressac qui va suivre, en dix ans de temps!), et 1956 de 2017 (d'où venons-nous, où allons-nous?! - question lancinante.)
Statistiques: au cours des six premiers mois de l'année, j'ai fait l'acquisition de 44 livres neufs (dont 24 lus) et de 39 livres de seconde main (dont 11 lus), libraries et bouquineries me doivent donc une éternelle reconnaissance, mais voilà qui indique aussi que je prends du retard, va falloir travailler avec un peu plus d'application.