L'autre jour, il était question du livre. Qu'est-ce que le politique fout pour vive l'édition belge francophone? Bonne question. L'occasion en était une petite rencontre amicale dans la bibliothèque municipale de Saint-Gilles, à Bruxelles. Un joyau, ce lieu de culture, construit à une époque où l'architecture était humaine. Beaucoup de bois, très chaud, des mezzanines remplies de rayonnages, un balcon où fumer.
Pour égayer la réflexion, à la tribune, il y avait Pierre Ansay. Il parle bien, Pierre Ansay, c'est un plaisir de l'entendre. Certes, il aime Deleuze, que je n'aime guère, il a écrit en long et en large dessus et aussi sur Spinoza, pas sur Hegel, que j'aime beaucoup mieux, sans trop le comprendre, cela va de soi.
Il ou elle s'en fout
Pierre Ansay, naturellement, il faut le voir en chair et en os. Ses cheveux blancs dressés par une antique tempête défiant les lois de la gravité. Son regard surtout, d'un bleu translucide éberlué, frappé d'un strabisme qui, vous fixant au plus près, semble regarder au loin. Simultanément. Parfaitement magique.
Pierre Ansay connaît bien le Canada, le Québec, il y va souvent. Voilà qui donne un peu de perspective. C'est que, au Canada, on soutient l'édition nationale. Dans les librairies, les auteurs du pays sont bien mis en évidence, ils y ont une place réservée, impossible de les louper. En Belgique francophone? Poser la question est y répondre. On s'en fout. Que fait la police, on veut dire le ministre de la Culture? Y fait rien.
Eux ou elles aussi
Il y a pire, poursuit Pierre. Car il y a aussi le dédain de la presse locale, on allait dire nationale, pour ce qui s'édite dans le pays. Le moindre potin parisien se verra relayé. Toutes les têtes d'affiche du landerneau littéraire français s'étalent sur des doubles pages. Leurs faits et gestes défilent dans les colonnes.
Il y a là comme un provincialisme béat qui n'a de regards que médusés pour la capitale des Lumières, rive gauche et rive droite tour à tour. L'édition belge en fait les frais. Si elle survit avec peine, c'est entre autres à cause de l'indifférence, le snobisme de la presse locale, on allait dire provinciale. Pierre Ansay aimerait que le scandale remue un peu les esprits. Que fait la police? Rien, toujours rien, elle garde les entrées de métro.
Eh ben, lui pas
Alors, quoi? Compter sur ses propres forces? C'était un peu l'objectif de la rencontre, le 18 juin 2016, à la réconfortante bibliothèque saint-gilloise. L'initiative en revenait à Pierre Bertrand, l'homme derrière, dessus en en-dessous des éditions Couleur livres, une des petites maisons indépendantes du pays, une des rares, elles disparaissent les unes après les autre.
Il a un beau catalogue, Pierre Bertrand, dont il faudrait aussi dire un mot. Une dégaîne à la Gaston Lagaffe, en moins sérieux, un garçon tout en hauteur qui fuit l'adulte, genre collégien attardé, dans le meilleur sens du terme, les effets de mode délétères n'ont pas prise sur lui: il est né dans le livre et il mourra dedans. Mais pas tout de suite, pas tout de suite.
Et nous non plus
Avant, il va continuer à publier. C'est pour cela que lui est venue l'idée de créer une association des Amis de Couleur livres, des gens, donc, qui aiment cela, qui non seulement continueront à acheter les livres que Pierre publie mais qui s'en feront les ambassadeurs, notamment pour secouer les gens de la grande presse pour qu'ils en parlent, bref, qu'ils fassent leur boulot. La rencontre du 18 juin, c'était essentiellement pour cela.
C'est une belle idée.
Ce sera au finish!
En tant que directeur de la collection L'autre économie chez Couleur livres, en coédition avec le Gresea (le Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative, même travail à rebours des poncifs dominants), j'ai aussi été invité à placer un mot.
Je n'avais rien préparé. J'ai improvisé, Pierre Ansay avait déjà dit l'essentiel. Que dire de plus alors? Peut-être ceci: que la création des Amis de Couleur livres doit être conçue comme une première étape, un tremplin pour la constitution d'un cercle des Amis du Livre tout court, puis, mieux encore, un cran plus haut, pour la mise en place d'une confédération internationale des Amis de l'Écrit sur Papier – au rythme où les marchands de journaux ferment boutique, il est temps d'y songer. Il n'y a qu'à s'y mettre.
Pour l'association des Amis de Couleur livres, voir http://www.couleurlivres.be
Pour le Gresea, c'est toujours la même adresse: http://www.gresea.be