Plein marre du corona, mais faut s'entendre.
Par ces belles journées, les rues désertes, les oiseaux dont le chant n'est plus étouffé, les renards qui vadrouillent nuitament sans ceinture de sécurité, mes chats qui s'en foutent de toute façon, les bagnoles qui se font furtives, le carnaval des masques enturbanants, etc., tout cela, vivement que cela dure encore des semaines, des mois ou des années.
Mais le coronablabla! Sur les réseaux dits sociaux, il n'y a presque que cela, et rarement avec humour. Dans les journaux, même chose, ils pontifient comme à l'ordinaire mais de manière désormais monomaniaque. Faites ceci, faites cela. Bons points à çui-ci, remontrances à çui-là (1).
Dans la langue suédoise, il y a très bon terme pour caractériser. C'est le mot "tyckare", qu'on peut traduire par "Moi-je-pense-que". Sur les réseaux, dans la presse, ils n'arrêtent pas de pérorer. C'est à qui se montre le plus responsable, le plus savonneux, le plus expertisant.
À la télé, je sais pas. J'ai pas la télé.
Et tous les jours, des chiffres. Autant de morts, autant d'hospitalisés, autant de guéris. Pour les morts, les chiffres n'ont aucun sens. Aurait seul du sens d'indiquer le nombre total de décès sur la période choisie au regard du nombre total sur la longue durée.
Mais, ça, c'est pas mon sujet.
Essences inessentielles
Mon sujet, c'est ce que révèle l'interprétation de ce qui peut, ou non, être considéré essentiel par l'establishment (nos papas et mamans étatiques).
Le livre, par exemple. Eh bien, pas essentiel du tout pour l'aéropage ministériel, sûr indice de leur nature humaine d'ignorantins microcéphales incultes.
Alors que les magasins de bricolage, hein... Ça, c'est es-sen-tiel. Ou les commerces de jardinage (2). Essentielles les petites plantes à mettre dans des petits pots à la petite fenêtre, du côté intérieur, confinées à l'égal des autres petits habitants.
La culture, pas contre, pas essentiel pour un sou.
Se nourrir est évidemment un besoin primaire. Donc, ces commerces-là, on ne ferme pas - d'autant que ce privilège bénéficie en premier lieu aux multinationales de la grande distribution, qui pallient par une large offre marchande l'absence de librairies (fermées) de drogueries (fermées), de magasins de fleurs (fermés) ou de vêtements (fermés). Tout cela dans le plus scrupuleux respect des euro-principes de la libre concurrence non entravée.
On les entend déjà les esprits malins qui vont dire que l'État roule pour le Capital, qu'il n'en est que le relais et que c'est même sa seule fonction (3). Certains vont sans doute jusqu'à plonger dans les archives et sortir de leur chapeau une perle d'anthologie du genre "Le gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de toute la classe bourgeoise." C'est dans le Manifeste, 1848 (4). Mais on dit tant de choses...
Existences inessentielles
Tiens! Et l'amour, c'est essentiel? Allez dire ça aux policiers quand vous êtes sur un banc public signé Brassens, serrés l'un contre l'autre. Vous vivez sous le même toit? Non, dans le même cœur, fondu pire qu'un ivrogne titubant, Monsieur l'Agent.
Et là, c'est sans parler, plus prosaïquement, des travailleuses du sexe qui ne gagne plus un sou pour payer le loyer et de quoi manger. Ou encore des serveuses et garçons de café qui, de même, bien souvent, se voient obligés de travailler au noir vu que pas le choix: en situation irrégulaire, sans papier, les emplois ne sont pas légion. Résumons: ni les unes, ni les autres sont essentiels. Qu'ils aillent se faire pendre ailleurs, hors de notre vue. La misère du monde, finalement, c'est chiant.
Comme Yasmine Siblor, chercheuse au laboratoire Institutions et dynamiques de l'histoire historiques de l'économie et de la société((IDHES, Paris Nanterre), en fait fort à propos la remarque, la division du travail sous le haut patronage des politiques de confinement met bien en évidence "la hiérarchie de l'utilité sociale des métiers. Elle s'avère à peu près inverse de celle des salaires et du prestige qu'on leur accorde usuellement." (5) Caissières, infirmières, aides à domicile, forçats de la livraison à vélo, femmes de ménage, éboueurs et autres bas salaires, allez vous faire pendre ailleurs. Mais restez au poste, faites votre boulot.
Là, je suis sorti du sujet, et pas qu'un peu.
Il est essentiel de ne point trop divaguer aux marges. Donc, j'arrête.
(1) Je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que ce beau monde, parfois nommé éditocrate, voit en se regardant dans le miroir. Y sont séduits par leur reflet ou bien ça se craquelle un peu?
(2) Pour les amateurs de repères historiques, c'est en date du 24 avril 2020, que le gouvernent a été décidé de lâcher la bride pour ces deux commerces, les autres, sous réserve de remords para-scientifiques, ce sera le 11 mai, cafés, restaus et cinés devant attendre le 8 juin.
(3) Pour une illustration, on écoutera et regardera religieusement l'intervention du journaliste empêcheur-de-penser-aligné Alexandre Penasse lors d'une récente conférence de presse à l'issue d'un conseil des ministres https://www.youtube.com/watch?v=xt8MAjqI5Aw, impertinence qui lui a valu d'être persona non grata, acte de censure que son association appelle à dénoncer https://www.kairospresse.be/article/ils-ne-veulent-plus-me-voir-a-la-conference-de-presse-et-vous/
(4) On peut consulter l'édition en langue étrangère de Pékin de 1966 mais aussi, bien plus jolie, l'édition critique et annotée avec ses sept préfaces et les bois de Frans Masereel publiée en 2011 par Aden (Bruxelles).
(5) C'était dans L'Huma, daté du 24 avril 2020.