Pour la réduction collective du temps de travail à 15 heures par semaine, l'exemple vient d'en haut. Ou d'en bas - cela dépend du point d'observation. Celui de Ms Woolf n'est pas celui de Ms Despentes. Ni le vôtre, nôtre. Etc.
1. Virginie Despentes (née en 1969), King Kong Théorie, 2006, Livre de Poche 2017, 145 pages, impression Maury.
Qui suit un tantinet l'événementiel frivole (TV, Internet) sait que Ms Despentes a été violée à 17 ans et, peu après, a bossé quelques années comme travailleuse du sexe (pute, en langage courant). Le savent parce qu'entre-temps Ms Despentes (Virginie, dans l'intimité des plateaux télé) est devenue star, autrice de best-seller, dont çui-ci. Qui se lit facile entre deux arrêts de tram. Ou, si on préfère, au volant de la teuf à chaque feu rouge. Voire en déambulant pédestrement - mais alors gaffe aux zozos avec les yeux rivés sur leur dumbphone qui font dans le mobilier urbain mouvant et contondant. Précision: il s'agit d'un bouquin donné par une amie chère qui dit y avoir appris bien des choses. Voilà qui oblige à une lecture candide, sans œillères. Sitôt fait. Ms Despentes n'est pas une romancière et son écrit, au style déluré à jet continu, tient plutôt du pamphlet au vitriol guilleret. Et là, d'aucuns ajouteront: féministe. Sur ce versant-là, ce qu'elle dit par exemple sur la prostitution ("l'unique prolétariat dont la condition émeut autant la bourgeoisie"), n'est pas sans faire fraternellement sourire. Abolitionniste, évidemment, elle n'est pas. D'abord parce que les clients "étaient plutôt affables" avec elle, "attentifs, tendre. Beaucoup plus que dans la vraie vie, en fait." Et puis, quoi?! s'il fallait abolir, mieux vaudrait commencer dans les supermarchés avec ces "femmes plus vieilles que moi, toute une vie à bosser comme ça, pour gagner des SMIC à peine améliorer et à cinquante balais se faire engueuler par le chef de rayon parce qu'on sort trop souvent pisser." Idem pour ce qu'elle dit de l'État, "tout-puissant qui nous infantilise" et qui "sait mieux que nous ce que nous devons manger, boire, fumer, ingérer, ce que nous sommes aptes à regarder, lire, comprendre". Paroles de rebelle, on le voit, et ça, ça fait toujours du bien.
2. Virginia Woolf (1882-1941), A Room of One's Own, 1929, éd. Penguin Classics 2020, 93 pages, 9,50 euros, impression Clays Ltd.
Le hasard des lectures amène comme en contrepoint cet essai: à distance d'un siècle avant Dame Despentes, voici un paysage qui en tout diffère sur un sujet pourtant identique, celui de la femme en tant que femme dans une société sous mainmise mâle. Dit autrement, notre Despentes eût été inimaginable en 1929, il n'est pas une phrase sortie de sa plume en 2006 qui eût pu jaillir en 1929. Affaire de contexte historique? Assurément, mais pas seulement. Et lire l'une et l'autre, côte à côte, creuse en profondeur leurs raisonnements en leur étrange réciprocité. Pour commencer, Ms Woolf est romancière, son verbe est haut en couleur, nourri des meilleures lectures, parsemé de jets souvent poétiques. Donc, on ne peut qu'aimer. Pour commencer, bis, elle est matérialiste: ce dont la femme a besoin pour être une voix dans la littérature (thème imposé à la conférencière en octobre 1928 et qui donnera ce bouquin), c'est une chambre bien à elle, et de préférence un revenu assurant la matérielle - ceci donnant le titre à l'essai: Une chambre à soi (réédité Livre de Poche, 2020). Or, cette pièce tout à soi, c'est venu bien tard. Woolf entame le chemin de croix de l'émancipation féminine avec Judith, la sœur de Shakespeare, inventée pour les besoins de la cause: à lui supposer le même génie que frérot, elle n'y aurait gagner que de disparaître sans laisser de traces dans une fosse commune, après s'être échappée de l'étouffoir familial par une fugue de pauvresse, après avoir été la risée de la bohème pour oser égaler la gent masculine - et après s'être de désespoir suicidée. Ceci, donc, pour le 15e et 16e siècle. Le premier tournant viendra au 17e avec la romancière Aphra Behn, première femme à avoir pu vivre de sa plume et, à cet titre, modèle pour ses "sœurs" de lettres et, plus encore, défricheuse d'un champ littéraire jusque-là obstrué: sans ces précurseurs, note Woolf, "Jane Austen et les Brontë et George Eliot n'auraient rien pu écrire, pas plus que Shakespeare sans Marlowe, ou Marlowe sans Chaucer". Tournant, encore, aux 19e et 20e, avec Mary Carmichael (à peine plus mémorable que Ms Behn d'un point de vue littéraire, donc à juste titre oubliées), qui signe le début d'une littérature de femmes écrivant, non pas en tant que femme, mais comme écrivaine - non "genrée" dirait-on aujourd'hui. Sur ce point, Woolf invite au basculement, à rebours des effets de mode actuels. Pour elle, en effet, le grand art est par définition ni masculin, ni féminin, il est androgyne - ceci marqué d'une belle référence: Coleridge, "a great mind is andorynous". C'était le cas, dit-elle, de Shakespeare, "et de Keats et de Sterne et de Cowper et de Lamb et de Coleridge." Ajoutant "Shelley, lui, était peut-être asexué. Milton et Ben Jonson? une pincée mâle en trop. Idem Wordsworth et Tolstoï. De notre temps, Proust était totalement androgyne, sinon avec une pincée femelle de trop." Voilà un point de vue désormais totalement évacué du débat.
3. Géraldine Muhlmann (née en 1972), Pour les faits, 2023, éd. Les Belles Lettres, 158 pages, 9,90 euros, impression Présence Graphique.
La valeur de certains livres dépend beaucoup de l'âge du public visé. Lequel, ici? Il y a fort à parier, marketing oblige, que l'espoir est un écoulement maximal, donc le tout-public dans la tranche 15 à 99 ans. Si c'est le cas, il y aura des déçus, un fameux paquet de déçus. Seront peut-être comblés, les boutonneux entre 15 et 22 ans qui trouveront ici de quoi réfléchir sur le journalisme, la presse et ce qui est censé être sa matière première, les faits, attestés, vérifiés, irréfutables, etc. Des faits qu'on sait aujourd'hui plutôt malmenés, travestis, fabriqués, biaisés, etc. - c'est le sujet du bouquin comme l'indique son titre. Ceci dit, passons aux déçus grisonnants. Lesquels ne pourront que s'étonner de voir à quel point Ms Muhlmann est tributaire de l'impérialisme culturel étatsunien - comme s'il n'existait pas de presse indienne, chinoise, russe, japonaise ou africaine. Pages après page, les exemples et références vont à des journalistes et des journaux étatsuniens. Le fait, comme elle avoue avec candeur, qu'elle "a fait un Master (sic)" dans "l'école de journalisme de New York University" n'est y sans doute pas étranger. Ni ses lapsus lui faisant écrire des américanismes ("délivrer" au sens de l'anglais "deliver" = fournir, en français). Ils s'étonneront également, dans un livre publié en 2023, de n'y trouver pas le moindre écho au conflit entre Otan et Russie en Ukraine, champ de combat où la bataille pour le "fait" vrai fait rage, au point que les alliés européens de Washington ont choisi d'interdire la diffusion de toute information émanant de Moscou. C'est d'autant plus étonnant que Ms Muhlmann évoque la "critique impitoyable", par les journalistes Walter Lipppmann et Charles Merz, en août 1920, de la présentation unilatéralement négative de la Révolution soviétique dans la presse étatsunienne - sans, donc, préciser que le scénario se répète aujourd'hui au sujet de l'Ukraine. Et puis, s'étonneront sans doute encore de voir apparaître la bancale notion de "presse d'opinion" (opposé à une "presse d'information") dans un survol assez scolaire du journalisme au 19e siècle - sans approfondir, ni même percevoir, ce qui différencierait information et opinion: bien peu de choses, en réalité. Bref, un livre qui a bien inutilement gaspillé de l'encre et du papier.
4. Stefan Zweig (1880-1942), Arthur Rimbaud, 1907, éd. Magellan & Cie 2024, 47 pages, 10 euros, impression Sepec Numérique (Péronnas).
Ce mince volume vaut rien que pour ses reproductions d'époque, vingt-cinq en tout, en sus du célèbre portrait de Rimbaud en couverture, détail de l'Henri Fantin-Latour de 1876, dont l'agrandissement quadrichrome subjugue par l'allure enfantine (il n'a que 22 ans), le regard mi-rêveur, mi-ailleurs, mi-narquois, mi-dédaigneux du météore de la poésie française, tranchant avec l'allure bourgeoise plutôt convenue des autres littérateurs, dont Verlaine, dans cette peinture de groupe, reproduite en noir et blanc dans les pages intérieures. Mais on trouvera donc aussi le croquis de Rimbaud par Verlaine (1872), un fac-similé d'une lettre de Rimbaud à son professeur Izambard (1870), une photo de Rimbaud à Harar (Ethiopie, 1883), sept dessins de Rimbaud (1864-1875)... Il y a donc de quoi rêver. Un peu moins avec le texte 1907 de Stefan Zweig qui brode, spécule, un peu, beaucoup, à la folie, sur l'identité d'exilé intérieur avant d'être extérieur du poète, par là inclassable. Cela en fait un (très court) roman à thèse. On aime ou on aime pas.
5. Ursula K. Le Guin (1929-2018), The Carrier Bag Theory of Fiction, 1988, éd. Ignorata 2019, 37 pages dont 22 de préface et d'introduction, 9 euros, impression TJ Books Ltd.
Séduit d'emblée, cette flèche en faveur d'une réduction collective du temps de travail à 15 heures par semaine. Mesure certes un peu rétrograde - littéralement - puisque, rappelle Le Guin, c'était la norme aux temps paléolithique, néolithique et préhistorique (la cueillette assurait le pain quotidien) et, ajoute-t-elle finement, ça "laissait pas mal de temps pour faire d'autres choses." Comme chez beaucoup d'autres auteurs de science-fi' (dont Bradbury, K. Dick, Ballard), la quincaillerie des mondes parallèles propre au genre n'est en définitive qu'un tremplin à la métaphore de critique sociale et philosophique. À preuve ce très bref essai sur "la théorie littéraire du sac en bandoulière" (titre du livre, librement traduit) dont le point de départ est l'objet de civilisation suprême, aux vertus plutôt féminines: l'amphore, le vase, tout contenant permettant de stocker le nécessaire dans la durée, graines, pain, vin, etc. Et ceci pour développer une critique en règle de la civilisation qui va succéder, jusqu'à nos jours, très masculine, celle des chasseurs-tueurs, celle des musclés, du biceps ou de la frénésie carriériste, celle de l'exploitation de l'homme par l'homme, l'un et l'autre pouvant avoir faciès et hormones de femme. Pour faire court et abrupt: voilà qui donne agréablement à réfléchir.
6. Agnes von Krusenstjerna (1894-1940), Delat rum på Kammakargatan (et 12 autres nouvelles) 1933, éd. Bakhåll 2023, 183 pages, impression... en Hongrie (low-cost).
Le déclencheur est parfois dans le titre, en français: "Chambre partagée à la rue des Kammakare", car l'impulsion d'achat a été cette fois exclusivement topographique. C'est que la rue dont question est celle d'une auberge de jeunesse (7 à 77 ans) où je loge lors de mes brefs passages à Stockholm, une longue droite vallonnée croisant le beau piétonnier, rue de la Reine, et à deux pas du musée Strindberg sis dans ce qui fut son dernier logement, préservé tel qu'il était, mégot de cigarette au cendrier inclus. Et c'est le livre qui m'a rendu curieux de connaître la signification de ce nom de rue dont j'apprends qu'il renvoie à un métier dont un des derniers représentants en Suède s'est éteint en 1914: qui par après songerait en effet à s'installer comme fabriquant (makare), artisanal et solitaire, de peignes (kam)? Et puis, et puis, livre broché bien exposé en devanture, joliment édité sur bon papier avec un interlignage généreux, pourquoi pas? Wikipedia détaille l'œuvre imposante mais peu traduite (un titre chez Gallimard, en 1940) de cette autrice, parfaitement oubliée sinon inconnue, ce bien que, informe la quatrième de couverture, fort controversée dans l'entre-deux-guerres pour son franc-parler au plan sexuel et son ton d'insoumission féminisante. Les historiettes réunies ici vont d'un tableau des prémisses d'une misère conjugale présentant une jeune femme voulant, en vain, rompre ses fiançailles avec un corniaud fat et coincé - à celui, dickensien, d'un proprio ronchon détesté de ses locataires qui - miracle de la fiction - va se transformer en pépé-gâteau. Tout cela est gentil, parfumé à l'eau de rose et lisse comme en galet en formica. Une curiosité, disons.
7. Schopenhauer (1788-1860), La ruine de la littérature, 1851, éd. 1001 Nuits 2023, 77 pages, 4 euros, trad. Auguste Dietrich, impression Nouvelle Imprimerie Laballery (Clamecy).
Bien sûr, c'est daté. Si polémique, il y a eu, à sa publication en 1851, elle s'est recouverte d'une tonne de poussières. Et puis venant du philosophe "décliniste" en chef, les coups d'épée, format bistouri, n'ont plus rien d'inattendus. Certains édits du taciturne vieux maître au penser incorrect valent cependant de s'y attarder. Passons sur l'observation que rares sont ceux qui écrivent avec une pensée propre, et qu'on s'épargne du temps perdu à éviter le "verbiage" des autres, qui "ne pensent pas du tout". Et retenons comme maxime à encadrer de jolies lettrines, la règle numéro un dans le choix d'achat d'un livre: "le nouveau est rarement bon". Précepte excellent, en 1851 comme aujourd'hui, devant un "déluge de plus en plus envahissant des livres inutiles et mauvais", soit, précise-t-il, "au moins les neuf dixièmes". Enfin, tout à fait amusant son petit tour d'horizon des auteurs à éviter, dont (1) Sollers avec ses "sentences équivoques ou paradoxales qui semblent signifier beaucoup plus qu'elles ne disent", dont (2) Muray qui "entasse les mots (... pour) une idée toute simple, quand ce n'est pas une trivialité", dont encore (3) les post-deleuziens aux "longues périodes filandreuses vides de pensée". La lectrice et le lecteur inattentifs auront soin de rectifier cette dernière phrase en substituant au trois machines à écrire citées, ceux plus schopenhauriens, dans l'ordre: Schelling, Fichte et les hégéliens.
8. Umberto Eco et Carlo Maria Martini (1932-2016 et 1927-2012 respectivement), Croire en quoi? 1995-1996, éd. Rivages poche 1998, 102 pages, 2 euros (bouquinerie Het Ivoren Aapje), trad. Myriem Bouzaher, impression Darantier (Dijon).
Livre quelque peu décevant que ce dialogue laïc-catholique publié à l'origine sous la forme d'un échange épistolaire dans la revue italienne Liberal sur des thèmes tels l'avortement, l'espérance, la place de la femme dans l'Église ou les fondements d'une éthique irréligieuse. Décevant tant pour qui l'idée de Dieu n'a guère plus de réalité que la broyeuse à chocolat de Marcel Duchamp que parce qu'il est malaisé de détecter qui des deux disputants, à fleuret plus que moucheté, est laïc et qui est croyant. Cela étant, échange à très haut et très érudit, et plus encore peut-être du côté de l'homme d'église, passé chez les jésuites avant de devenir successivement recteur de l'Institut biblique pontifical, évêque de Milan et enfin cardinal au Consistoire. Pas un va-nu-pieds. C'est d'ailleurs chez lui qu'on trouve deux pépites, la première, presque marxiste, pour rappeler qu'on ne saurait interpréter des textes, quels qu'ils soient, "au strict pied de la lettre, d'une manière fondamentaliste, mais en tenant compte du temps et du milieu où ils ont été écrits." Un jugement qui, on le voit, donne un tour particulier au terme rabâché de "fondamentaliste". La deuxième est la mention, en passant, de "la question vexante de savoir si ce terme Elohim qui apparaît au début de la Genèse est singulier ou pluriel". D'aucuns auront en mémoire l'utilisation, dans la poésie médiévale, par exemple chez Christine de Pizan, de la graphie "Dieux" là où on se serait attendu à un singulier. Question vexante, en effet...
9. Günther Anders (1902-1992), George Grosz, 1961, éd. Allia 2005, 89 pages, 4 euros (bouquinerie Het Ivoren Aapje), trad. Catherine Wermester, impression: Italie, sans autre précision.
Anders appartient aux plus inclassables - et les plus originaux - de la philosophie allemande du XXe siècle, dont les soubresauts restent encore perceptibles. Gorsz, dans un autre registre, violemment pictural, lui aussi. Quoi de plus naturel donc de les voir associés dans cette incursion dans l'un par l'autre. Le livre est peu illustré, et c'est dommage, surtout pour qui veut voir en image ce que les mots en disent - la biographie BD Grosz Berlin New York de Lars Fisk aux éditions Fantagraphics, 2017, est à cet égard un agréable adjuvant. Ce, pour pénétrer dans le monde, parfaitement désagréable, lui, du peintre satiriste: l'horreur humaine dans toute sa splendeur. Comme écrit Anders, chez Gorz, "il n'est plus question désormais «d'inviter» le spectateur. Au contraire, il s'agit essentiellement de le terroriser." L'obliger à un face-à-face dans un miroir qui rend impossible toute possibilité de distanciation et donc d'ouverture au confort de se sentir au-dessus de la mêlée. Anders va, sur ce point, un peu plus loin. Pour lui, il y a dans l'art de Gorsz, un déplacement, aussi subtil que brutal, placé sous le signe d'une interversion des rôles: on pensait être le regardeur mais, non, on est le regardé. On ne regarde pas un Grosz, c'est le tableau qui nous regarde. Il va un pas plus loin car, suggère-t-il, "le développement de ce type d'inversion se dessine aujourd'hui partout. C'est dans le domaine de la propagande commerciale et politique que le phénomène se manifeste avec la plus grande clarté par le moyen de l'affiche qui nous fixe telle Méduse et, simultanément, nous attire à la manière des sirènes, nous terrorise et exerce sur nous une contrainte." Citation un peu longue mais elle rend bien compte de la sinuosité subversive de ce philosophe. Voir dans la pub, une "classe d'images terroristes", c'est de la belle et haute voltige.
10. Bertolt Brecht (1898-1956), Journaux 1920-1922 suivi de Notes autobiographiques 1902-1954, éd. L'Arche 1978, 235 pages, 5 euros (bouquinerie Petits Riens), impression Corbière et Jugain (Alençon).
Ce petit volume contient donc, outre les brèves pages autobiographique 1920-1954), des annotations quotidiennes du jeune Brecht, il a 22 ans au début et cela s'arrête grosso modo lorsqu'il en a 27, des pages qui témoignent d'une maturité précoce, dramaturge déjà, n'arrêtant pas de mettre en chantier de nouveaux projets, entouré d'un petit cercle d'amis dont les aventures et déboires sentimentaux le laisse assez clinique et froid. Ce n'est pas son plan de vie: "je ne peux pas me marier. Je dois avoir les coudées franches, pouvoir cracher comme j'ai envie, dormir tout seul, être sans scrupules." Il y a du moine chez lui: sa chambre, en 1931, il a 33 ans, se compose de deux tables, deux chaises, un lit ancien, une armoire à manuscrits, un appareil de projection et, côté linge, "x chemises, de la literie pour changer x fois le lit, sept costumes, huit paires de souliers." Il y a encore deux lampes, au plafond et à la table. "La chambre et la plupart de ces objets me plaisent, mais j'ai honte de l'ensemble, parce que c'est trop." On voit mal Brecht dans le foutoir d'Ikea. Comme on pouvait s'y attendre, les perles ne manquent pas. Tel l'axiome fameux: "Mon amour de la clarté vient de ma façon de penser si obscure." Tel ce diction chinois: "Quand les graines de sable sont contre les hommes, il faut que les hommes s'en aillent.", Tel encore ce principe pataphysique: "je crois que la surface a un grand avenir." En compagnie de Brecht, on ne perd jamais son temps.