Trump

Pour être inattendue, la victoire de Donald Trump l'était. C'est peut-être le fait le plus intéressant de cette élection. Pas seulement, naturellement. Il y a aussi ce concert de lamentations, à droite comme à gauche, devant la défaite de Hillary Clinton, personnage pourtant parfaitement détestable. Passons.

L'inattendu est que l'attendu ne s'est pas réalisé. Ou pour le dire autrement: l'inattendu des uns, manifestement, n'était pas l'attendu des autres. Quiconque a jeté un oeil sur les médias ces derniers mois n'a pas manqué de s'apercevoir que, dans son écrasante majorité, la presse était pro-Clinton et anti-Trump.

Faites le bon choix!

Dans son édition du 5 novembre 2016, le journal bruxellois Le Soir, premier quotidien de langue française en Belgique, publiait un cahier spécial élections USA de 16 pages. Aux côtés d'un panérygique de quatre pages à la gloire du président Obama, se trouvaient ici réunis sept "grands témoins" (dont Marc Lévy, dont Diane von Fürstenberg, on fait ce qu'on peut) invités à donner leur avis. Seul l'un d'eux, l'écrivain Richard Ford, penchait pour un "ni-ni" désabusé. Tous les autres, six contre un, c'était de l'anti-Trump et du vive Clinton. Madame von Fürstenberg (modiste et businesswoman): "Je sais que Hillary sera une excellente présidente." Monsieur Wendell Pierce (jazzman): "Si Hillary ne gagne pas, ce serait un vrai désastre." Dans les deux cas, titres sur 5 colonnes.

Pour ceux-là, comme pour la rédaction du journal, Trump aura été, scandaleusement, l'invraisemblable inattendu. D'autres rédactions ont dû avoir le même réflexe: après tous leurs efforts pour que les gens fassent le bon choix, s'en voir aussi mal récompensés. C'est à se dégoûter du métier.

Le bon choix, vous dis-je!

Que la presse ait été aussi largement pro-Clinton et anti-Trump: attendu ou inattendu? C'est peut-être à cela qu'il faudrait réfléchir. On pourrait dire la même chose du Brexit. On a là un exemple assez éclairant avec le magazine littéraire britannique The Times Literary Supplement. D'ordinaire, on n'y trouve que des recensions, parmi les meilleures, toutes publication confondues.

À l'approche du fameux référendum sur l'éventuelle sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, cependant, ce magazine de qualité s'est offert quelques pages donnant voix à des écrivains qui, presque tous, n'avaient que paroles de louange pour les institutions européennes. C'était pour le moins inattendu, tout comme, pour cette rédaction-là, on l'imagine, le résultat inattendu du vote qui suivit.

Le magazine a remis le couvert dans son édition du 28 octobre. En couverture, Hillary Clinton. Et en article d'ouverture, un texte de commande enflammé venant saluer dame Clinton comme une "personne qui a dédié sa vie à la chose publique". Un texte de propagande aussi caricaturale dans une publication littéraire de qualité, voilà qui était pour le moins inattendu. Ou non?

Peur du popu?

Dans les deux cas, Brexit et Trump, il est difficile de ne pas y voir comme l'expression d'une peur panique des élites nanties au sommet devant un ras-le-bol populaire dirigé contre eux, dont la presse n'est alors qu'une caisse de résonance. On peut appeler cela "populisme" ou fureur "anti-establishment", cela ne change rien à la chose. Que les médias fassent aussi largement cause commune avec les élites possédantes n'est, après tout, pas tellement inattendu. Ils en sont pour la plupart la propriété.

Parmi les voix qui, en dépit ce tam-tam assourdissant, ont exprimé un point de vue dissident, peu entendues (ce qui n'est qui n'est guère inattendu), on peut mentionner celle de l'économiste égyptien Samir Amin.

Dans les colonnes du Drapeau rouge (n°58, septembre-octobre 2016), il jugeait préférable le candidat républicain: Trump, notait-il, "représente les intérêts du capitalisme industriel, notamment du bâtiment, et commercial. Clinton est, depuis toujours, au service des industries de l'armement. D'où sa vocation guerrière, son soutien aux guerres en Irak, Libye, Syrie que Trump critique; d'où aussi une russophobie que Trump ne partage pas."

Personnellement, conclut-il, il trouve Clinton "bien plus indigne et grotesque que le grotesque et grossier candidat républicain."

Il y a aussi eu celle du philosophe slovène Slajov Zizek qui, s'exprimant sur la chaîne britannique Channel Four, peu avant les élections, jugeait Clinton bien plus dangereuse que Trump...

Et puis, enfin, celle d'Ignacio Ramonet dans un long texte d'analyse daté du 21 septembre et intitulé "Les sept propositions de Trump que les grands médias nous cachent" (sapristi! inattendu?).

Inattendu!

À lire intégralement, bien sûr (hyperlien en fin de texte), mais retenons d'ores et déjà que ce qui dérangeait manifestement les médias chez Trump est (1) son opposition à la globalisation et à la liberté mondiale sans entraves du marché, (2) son credo protectionniste, qui en découle, (3) son refus de coupes budgétaires néolibérales dans les dépenses sociales, (4) sa détestation des boursicoteurs de Wall-Street, dont il veut réduire le pouvoir, (5) sa main tendue à la Russie et à la Chine, (6) sa politique étrangère non interventionniste et sa défiance vis-à-vis de l'Otan, et (7), parce qu'à l'opposé de tout ce qui précède, son mépris pour les médias dominants. Bigre! Inattendu.

Le plus inattendu, peut-être, est que les mouvements dits sociaux, notamment ceux qui partout en Europe s'opposent aux traités commerciaux de libre-échange (Canada, TTIP, etc.) sous la régie des multinationales, aient pu à ce point se laisser charmer par la figure de proue desdits traités, on a nommé la candidate démocrate, Hillary Rodham, épouse Clinton, avec son petit air d'institutrice coincée, pas marrante du tout. Là, je me suis emporté.

L'analyse d'Ignacio Ramonet: http://www.medelu.org/Les-7-propositions-de-Donald-Trump