Fugue pour basse continue

Brouillard
des façades en craie de falaises agonisantes
Brouillard
des contrebasses de moteur automobile
revenant sillonner le passé
Brouillard
que ces femmes qui trépignent
d’un pas d’automate
Brouillard
de la somnolence sénile
Brouillard
des choses vues, rencontrées, agrippées
avec avidité le temps que se meurt l’instant
Brouillard
d’hébétude des heures parées
de feuilles mortes pleurnichardes
Brouillard de mots violés par 150
fantassins condamnés à mort
Brouillard
des illusions irisées
Brouillard d’une vie
qui s’achève à n’en plus finir
Brouillard
des lendemains
Brouillard
des morts qui surpeuplent depuis que mort existe et, main
dans la main,
brouillard des regards muets par lesquels
ma femme et moi fouillons le néant
Brouillard
la femme partie trop tôt
Brouillard
la maîtresse arrivée trop tard
brouillard
la solitude, la compagnie, la nuit, le
silence
Brouillard
la main qui ignore l’autre, étreignant chacune
de son côté le vide
Brouillard
les sirènes d’ambulance et
d’Ulysse
Brouillard
des minutes qui se font secondes
pour sautiller du passé au présent et, de là,
dans le brouillard
dense comme un cœur
palpitant de faim
de fatigue
de mélancolie
d’égarement
Brouillard des rêves éveillés