En feuilletant 2025

Comment construire un univers sans qu'il ne s'écroule au bout de deux jours? De toutes les questions que peut se poser la créature humaine, c'est la plus divine. On la doit à Philip K. Dick. D'autres, Sollers, Shakespeare ou Verlaine ont à leur manière chipoté le mystère de la création. À votre tour!

1. Philippe Sollers (1936-2023), Portraits de femmes, 2013, Flammarion, 156 pages, 3,50 euros (bouquinerie Oxfam), impression Floch (Mayenne).

Pour démarrer l'année, le choix s'est porté sur un petit Sollers, de compagnie en général agréable, tant par son verbe que son panthéon littéraire. Dès la première ligne, credo en clin d'œil à Ms de Beauvoir: "On ne naît pas homme, on le devient, la plupart du temps à ses dépens." Début assez logique. S'il va causer femmes, c'est, précision judicieuse, en tant qu'homme - et cela donne un peu à penser car on aimerait croiser l'écrivaine qui aurait l'idée d'écrire un Portraits d'hommes. En sous-titre: un amant dans chaque port. C'est un peu la manière de voir de Sollers. D'emblée, à nouveau: "La vie est courte, vous décidez d'en avoir plusieurs." Non pas un, mais des amours. Et ainsi s'égrènent ces pages. Bonjour Laure, au revoir Laure. Bonjour Eugenia (30 ans, qui l'a dépucelé, à 15 ans), au revoir Eugenia. Bonjour Dominique (elle 45 ans, lui, 22) mais là, pas d'au revoir sinon cocufié par la mort aux charmes irrésistibles. Nul au revoir, enfin, d'avec Julia (Kristeva), fidèle jusqu'à son trépas et même au-delà. Pas monogame pour autant: "Je n'ai jamais compris ce que signifiait la fidélité sexuelle." En d'autres termes, cette promenade sollersienne a ses charmes, jusqu'au milieu du livre à tout le moins car, après, cela tient de l'auto-célébration de son Œuvre (j'ai écrit sur elle dans tel roman, sur telle autre dans tel autre, etc.), en un mot: lassant. Bonjour Sollers, au revoir Sollers.

2. Isabelle Adjani et Olivier Steiner (nés en 1955 et 1976 respectivement), Du côté de chez Marilyn, 2024, éd. L'Observatoire, 159 pages, 15 euros, impression Normandie Roto (Lonrai).

Acquis comme suite à une recension dithyrambique dans le journal Le Monde (daté du 20 décembre) et puis aussi parce que Marilyn, irrésistible, tout comme Isabelle, l'une et l'autre mariées à la chose littéraire, l'Américaine disposant à portée de main, dans sa bibliothèque personnelle, quelque 390 bouquins, parmi lesquels du Faulkner, du Joyce, du Flaubert et du Colette, provisions de nourritures spirituelles "sans aucune date de péremption"... On aura appris cela, ici. À connaître un peu mieux ces deux actrices, aussi, dont la survivante reste en communion avec la sœurette tragiquement disparue. Et ça fait un bon bouquin, ça? Pas vraiment. Las!

3. Collectif, Lénine et l'art vivant, 1970, Les Éditeurs français réunis, 256 pages, 5 euros (bouquinerie Het Ivoren Aapje), impression Folloppe (Flers).

Acheté pour pas grand chose et, malgré son titre d'une orthodoxie momifiée, pour y découvre une perle due au cinéaste Serge Youtkévitch (1904-1985), réalisateur d'un Othello (1955, avec Bondartchouk, monstre sacré de l'écran soviétique) et d'un Lénine en Pologne (1966), dont il cause ici. Mais avec une culture cosmopolite qu'on associe rarement à la scène artistique du "glacis soviétique", car il cite ici avec bonheur Jules Renard, Jean Renoir, Bertolt Brecht, Eisenstein, Bunuel, Kurosawa ou encore... la Cinémathèque de Bruxelles! Son propos: rendre vivant, donc humain, donc non hagiographique, la personne de Lénine durant ses douze jours d'emprisonnement en Pologne, en le montrant, par exemple, y délaçant ses godasses - tableau sacrilège pour les dévots. De Jules Renard, il recopie ceci: "Un mauvais style, c'est une pensée imparfaite." Avec ça, déjà, les cinq euros déboursés sont pleinement compensés.

4. Philip K. Dick (1928-1982), How to build a universe that doesn't fall apart two days later, 1978, éd. Isolarii/Common Era Inc. 2024, 91 pages, 16,95 euros, impression Italie (ss autre précision).

On pourra certes considérer un peu chérot ce tout petit in-32 (10,8 x 7 cm) pour quelque 90 pages rachitiques mais cela en vaut très largement le prix. Philip K. Dick est, avec Raymond Bradbury, un des rares auteurs de science-fiction a en avoir fait de la grande littérature de belle et grande pensée. Et ce bref essai de 1978 le démontre. On y discerne trois moments, fusée à trois étages, si on veut. Dans un premier temps, réflexion sur ce qu'est, ou serait, la réalité. Pas évident. Il a, confie-t-il, "écrit plus de trente romans et plus de cent nouvelles, sans pour autant être à même de savoir ce qui est réel." Et c'est avec une sorte de lucidité prophétique (on est en 1978, bien avant le "virtuel" sur petit écran) qu'il observe que "nous sommes bombardés par des pseudo-réalités produites par des gens très sophistiqués utilisant des mécanismes électroniques très sophistiqués." (Allumez deux minutes votre télé et vous y êtes, tout y est factice.) Là-dessus, amusante confrontation de Parménide (seul est réel ce qui ne change pas) et Héraclite (tout est changement), ce qui donne, superposés: "Rien n'est réel." Dans un deuxième temps, il en vient aux "fake fakes" (les faux faux, qui abondent dans son œuvre). Entendre, ici, que: "Des réalités illusoires créent d'illusoires être humains." (Mieux en anglais: "Fake realities will create fake humans.") C'est que notre monde est durablement un Disneyland. Et là, il y revient, à la télé, dont "la puissance d'influence sur les jeunes gens est stupéfiante d'amplitude". Étant entendu que la compréhension faite suite à la perception et que "Si vous êtes à même de les faire voir le monde comme vous voulez qu'ils le voient, ils vont penser comme vous pensez." On arrête là. Pour inviter tous les enseignants à mettre en débat ce petit bâton de dynamite. Là-dessus, le troisième moment, la pointe de fusée mettant cap sur la lune. C'est sans doute celui où il est le plus difficile de suivre l'auteur. Car ce qu'il développe ici, basé sur des observations et introspections trop personnelles pour qu'un tiers puisse y prendre part, est sa conviction que, sous-jacente à la réalité banale du quotidien, existerait "une autre réalité", permanente, venues des premiers temps chrétiens, plus précisément l'univers, jusqu'au moindre grain de sable, tel qu'il s'est manifesté en l'an 50 de notre ère. Il explicite ainsi: "J'ai l'intuition persistante que le monde de la Bible est un paysage littéralement réel, mais voilé; immuable, caché à votre vue mais accessible par révélation." Cela peut semble un peu fou. En tout état de cause, cela n'a pas la stupidité de tout ce que sans cesse déverse un écran de télévision (ou de dumbphone).

On peut aussi trouver le texte...

lu sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=o1UvG2LSa78

dans un recueil paru en 2002 aux éd. L'Éclat https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=-320068

5. Théophile Gautier (1811-1872), Œuvres érotiques, 1850-1864, éd. Arcanes (Paris 12) 1953, 150 pages, 10 euros (Het Ivoren Aapje), impression Imprimerie Studio.

C'est une des bizarreries de la littérature, due à ce penchant bureaucratique consistant à la classer en "genres". Voir ci-dessus Philip K. Dick, rangé parmi les auteurs de "science-fiction" et auquel, raconte-il dans le livre précité, ses amis avaient coutume de lui demander: "Mais dis, il t'arrive d'écrire des choses sérieuses?" (sic). L'érotisme, tout ce qui touche à l'être humain en-dessous de la ceinture, ce n'est évidemment pas "sérieux". Ni bienséant. Baudelaire, censuré par Dame Justice en 1857, en a fait l'amère expérience en dépit de belles subtilités de langage pour enrober "ça". En poésie, les versificateurs en herbe se voient par ledit tabou privés d'un joli bouquet de rimes, "anglaise" par exemple, qui rime avec "baise", ou la plupart des verbes à l'imparfait (avec "bidet"), ou "écu" (avec "cul"), "chambre" (avec "membre"), "larmes blondes" (avec "cuisses rondes") pour prendre quelques exemples chez Gauthier. Cela fait de la bonne poésie? On vous laisse juge avec cet échantillon: "O douce barbe féminine / Que l'Art toujours voulut raser, / Sur ta soie annelée et fine / Reçois mes vers comme un baiser !"

6. Clément Rosset (1939-2018), l'endroit du paradis, 2018, éd. Les Belles Lettres (encre marine) 2018, 62 pages, 9,90 euros, impression Typo' Libris.

Clément Rosset, découvert un par hasard, ne fait pas partie des philosopheux vedettes, genre Badiou, Comte-Sponville, Derrida & Cie. Faut-il le classer parmi les anonymes qui font masse? Une question en entraînant une autre: combien de philosophes produisent les grandes écoles, françaises et belges, chaque année - et avec quel effet? Ah! là: marginal pour ne pas dire insignifiant, sans aucun doute. Laissons l'affaire entre bonnes mains, savantes et inaudibles, et venons-en à Clément. Par approximation: c'est un philosophe du bon sens. À preuve, ces quatre brefs essais. Le premier est sur le bouclier d'Achille dont la décoration se veut image paradisiaque de la Grèce antique entière et, partant, de "la joie d'exister" (fallait un Homère pour glisser cela dans le tumulte de L'Iliade); le second sur la notion de démesure, qui fut la perte des Centaures, Géants & Amazones, dont on ne sait s'il faut l'appliquer à M. Trump ou Ms von der Leyen; le troisième sur la musique et Schopenhauer, "premier philosophe à avoir pris la musique au sérieux, [mais aussi] premier à avoir dit la différence absolue qu'il y avait entre l'émotion musicale et toute autre forme d'émotion", ce qui vaut d'être cogité un peu, hors muzak de bistrot, évidemment. Et puis, touche finale, une "fantaisie sur la création du monde" au départ d'un insoluble problème théologique: "pourquoi diable Dieu, si bienheureux et complet par lui-même (il s'aime lui-même d'un amour infini, dit Spinoza), a-t-il eu l'idée d'ajouter un monde à son bonheur, comme si celui-ci n'était pas tout à fait complet sans ce complément du monde?". Mmmmm. Du Rosset, on reprendra volontiers.

7. Shakespeare (1564-1616), Hamlet, 1600, éd. Folio Théâtre 2022, 406 pages, 5,50 euros, trad. Jean-Michel Déprats, impression Maury Imprimeur (Malesherbes).

Troisième relecture, cette fois grâce à ce bilingue récent. Pur plaisir, évidemment, le grande barde enfantant ici la mélancolie sous des traits princiers, fils d'un spectre apostrophé "vieille taupe" qui, "noble pionnier", travaille si vite sous terre, et fils d'une assassine adultérine, parent spirituel de Yorick, bouffon mué en crâne roulant sa bosse au cimetière, et fou avec cela, quoique, avec méthode: "Though this be madness, yet there is method in't." Et puis cette finale merveilleuse où tous meurent, les bons et justes comme les vils et méchants. Rideau! rideau! ce triste monde "out of joint" (disloqué), ce "distracted globe" (globe détraqué), fuyons! (Par parenthèse, pur plaisir, encore, que cette langue, et notamment l'usage tellement poétique, tellement intraduisible, du privatif "un-", trois fois prononcé dans une tirade de Laërte: pour dire ces "gens sans importance" ("unvalu'd persons"), pour dire cette "ardeur incontrôlée" ("unmast'red importunity"), pour dire cette "beauté à dévoiler à la lune" ("unmask... beauty to the moon") - dont chacun connaît l'exemple suprême, dans une prière macho-féministe sortie de la bouche de Lady MacBeth: "Unsex me!"). Shakespeare? À relire au moins une fois par mois.

8. Guy Goffette (1947-2024), L'autre Verlaine, 2008, rééd. Folio 2009, 100 pages, 50 centimes (Petits Riens), impression Novoprint (Espagne).

Encore une petite chose pour tenter de prendre la mesure du mystère Verlaine, "l'ivrogne des Lettres françaises" comme Goffette résume un des pans du personnage, celui dont un Mallarmé, dûment cité, disait, souverainement: "Verlaine, il est caché parmi l'herbe, Verlaine." Le mystère ne s'en trouve pas désépaissi, le poète, petit bourgeois de même qu'ange déchu, luciférien, étant passé dans sa brève existence par la case dévote, donnant en 1881, avec Sagesse (sic), dans le missel versifié. Si Verlaine ne l'est guère, Goffette, lui, est ici mis à nu: car fou de Verlaine, il est, notre poète et écrivain namurois qui, après avoir lu les quelque "mille pages sur papier bible" de l'œuvre poétique de Verlaine, passera trois années pleines à faire, pas à pas, le pèlerinage de toutes les errances du Pauvre Lelian, alias Pablo de Herlagnez, alias Verlaine. On cheminerait volontiers à ses côtés.

9. Jean Rouaud (né en 1952), La constellation Rimbaud, 2021, rééd. Folio 2024, 163 pages, 7,80 euros, impression Novoprint (Espagne).

Voilà un écrit délicieux, et l'idée l'est tout autant: produire une immersion dans la brève et fulgurante trajectoire de Rimbaud en prenant pour seuls repères, et témoins, tous les obscurs et moins obscurs dont il a croisé le chemin. Et cela, évidemment, sans négliger les grands mots du poète maudit, sa lettre "dite du Voyant" de 1870 (il a 16 ans), son dédain méprisant pour les poètes et leurs "rinçures" (il a 20 ans) ou sa lucidité sur la pensée singeant son existence propre: "C'est faux de dire: je pense : on me pense." (1870, lettre du Voyant). Cela donne aussi, marque de fabrique du Gavroche mal élevé, son regard sur les confrères qui l'ont hébergé, dont Banville, ce "vieux con", auteur d'un "Tas d'œufs frits dans de vieux chapeaux". Ressort du lot, parmi les connaissances obscures, l'auteur du célèbre tableau où l'on voit Rimbaud, alité, la tête reposant sur une main, dépassant seuls des draps, le regard halluciné: il serait d'un certain Jef Rosman, dont on ne connaît aucune autre œuvre et qui, sans doute, n'a jamais existé.

10abcde... Les périodiques, ça compte?

10a Marianne, hebdomadaire, une soixantaine de pages, 4,90 euros, commémorant dans son dernier numéro (daté 30 janvier) son fondateur, Jean-François Kahn (1938-2025), qui réussit pour son premier numéro, en 1997, à en vendre 400.000 exemplaires grâce au procès intenté contre lui par Serge Dassault, peu heureux d'avoir été qualifié de "empereur tricolore de la corruption". Depuis, les flots encre ont coulé sous les ponts, et même au-dessus: régulièrement en difficulté, l'hebdo, propriété du milliardaire tchèque Kretinsky (de même que d'Elle, Ici Paris, Editis, Télé 7 Jours), vient de voir sa direction remaniée, ce qui vaut au minimum sursis. C'est une des rares voix dissidentes et non inféodées de la presse francophone.

10b Private Eye, acheté de temps à autres, bimensuel satyrique british, une quarantaine de pages au texte serré, 5,70 euros: un Canard enchaîné en mieux (lire: moins idéologique), un Pan d'avant son virage dans les caniveaux de extrême-rabique. Spécialité: servie en micro-infos, la corruption des puissants dans tous ses états, ce en sus de juteuses rubriques aux noms chamarrés, tels L'Agro-Brigade, Le Times de la Prégardienne, Jeune et idiot. Ajouter deux pages de recensions littéraires, des "cartoons", des photos d'actu détournées, une feu d'artifice d'irrévérences.

10c Le Monde diplomatique, évidemment! mensuel, quelque 30 pages, 6,90 euros, partage avec Marianne l'exploit de sauver l'honneur du journalisme de langue française, mais ici - qui ne sait? - sur le mode des longues analyses rigoureusement rigoureuses, donc un peu lourdes à digérer, sauf à picorer au gré des goûts, préférences et dadas. Comme chez Marianne, l'info va à contre-courant: dans son édition de février: "Vos batteries vont-elles exploser? - Le recyclage dans l'impasse" La bonne question que voilà!

10d Europe, revue mensuelle, à 380 pages lorsque le numéro est double comme ici, dans l'édition janvier-février 2025, 22 euros. La vénérable revue fondée en 1923 sous l'égide de Romain Rolland garde le cap, cathédrale en haute mer vouée à la littérature et ses illustres monuments, cette fois Sappho, grande poétesse mystique, première philosophe qu'une dévotion à Aphrodite lui vaudra d'être, chez les Anciens, dépeinte comme "une sorte de nymphomane hétérosexuelle" mais que la chrétienté, cherchant le mal dans la femme, diabolisera comme homosexuelle, d'où l'autodafé de son œuvre dont il ne subsiste plus, des neuf livres de sa main, que 225 fragments. Elle vivait il y a 2600 ans de nous mais sa voix envoûte encore: "j'écris mes vers avec de l'air et on les aime", "toi immortelle Aphrodite (...) ne laisse pas dégoûts et chagrins affliger mon âme (...) tu es venue vers moi de leur battements d'ailes les moineaux attelés à ton char". Ah! et un deuxième dossier sur l'écrivaine algérienne Assia Djebar (1936-2015), mais encore des recensions, 37 en tout, la plupart chez des petits éditeurs indépendants. Il faut se dire heureux qu'existe encore ce type de revue de haute culture.

10e The Spectator, hebdomadaire, quelque 60 pages, 8,50 euros: magazine conservateur venant vérifier l'adage selon lequel mieux vaut l'écrit de droite intelligent que celui de gauche, stupide. Sa couverture, sobre et no nonsense, de l'ère trumpiste, notamment, apporte une bouffée d'air frais à côté des bêlements de la presse de militance europhile (ensemble de la presse continentale, presque). En plus, imprimé sur papier doux, esthétique de bout en bout, enrichi d'illustrations toujours subtiles: souhaitons longue vie à ce périodique sophistiqué, fondé en... 1828. Comment quoi, la qualité, ça paie.

10f Les Cahiers de Tinbad, trimestriel, quelque 130 pages, 17 euros. Numéro 17 daté Automne 2024, acheté par curiosité. C'est très haute culture. Cela contient du Melville de 1856. Un "top ten" des dix meilleurs bouquins, dont L'Odyssée, La Divine Comédie, Milton (tout) et Shakespeare (tout aussi). Un hommage à Violette Leduc. De la glose sur Rimbaud. De l'entretien avec Jean-Luc Godard. De la glose sur Günther Anders. Même du Depardieu, le pestiféré des bigotes. Ici et là, c'est un peu prétention. Personne n'est parfait.

10g Scientific American, mensuel, quelque 90 pages, +/- 15 euros, achat épisodique, histoire de se reposer d'une presse partout devenue "d'opinion" et toujours la même, d'opinion, paternaliste, vassalisée, normative, donneuse de leçons. Par ailleurs, une des publications de vulgarisation scientifique les plus attrayantes, y compris par ses photos superbes: de grizzlys dans le numéro de juin 2024, dont la réintroduction dans un parc naturel proche de Seattle pose quelques soucis d'intégration, ou encore, dans le numéro de décembre, de chevaux, dont de nouvelles fouilles archéologiques révèlent que, chassés pour leur viande il y a quelque 300.000 ans, c'est aux alentours de 2200 avant notre ère, dans la steppe de la Mer Noire, que leur domestication a commencé pour ensuite s'étendre à l'Est (Mongolie), à l'Ouest (Europe et Scandinavie) et au Sud (Égypte).

10h Zèbre, trimestriel, quelque 80 pages, 8,90 euros. Lorsque jeunes et moins jeunes gens décident, en pays wallon, de se lancer dans l'arène des périodiques, faisant foi en l'avenir éternel de l'écrit sur papier, on ne peut évidemment qu'encourager. Tout en levant les bras au ciel: pourquoi diable opter pour de l'épais papier d'emballage soudé à surdose de colle à un dos rigide? Sans doute est-ce moins cher que le doux papier plié et agrafé, mais quelle perte pour l'humanité! En ce n° 3 de petite enfance, c'est la liberté d'expression qui est mise à l'honneur avec ici certes de bonnes choses, sur l'omerta à laquelle s'est heurtée quiconque mettant en doute les politiques sanitaires officielles (masque, vaccin, confinement, etc.), mais aussi, il faut bien le dire, de franches niaiseries où ils se sont mis à deux, un certain Luyckx et un non moins incertain de Wolff pour aligner des platitudes de niveau scolaire. Et là, on est gentil. On leur souhaitera néanmoins bon vent. Par les temps qui courent, mieux vaut un peu de prose balbutiante que rien du tout.

10i Times Literary Supplement, hebdomadaire, quelque 30 pages format A3, par abonnement (42,50€/an) depuis que le Brexit a vidé nos librairies de quantité de périodiques britanniques. Sans conteste, une des meilleures sources d'informations critiques sur ce qui se publie, en anglais principalement mais, de temps à autre, en allemand, français ou espagnol. Recension d'une page entière, bien souvent et, presque toujours, par des érudits disposant des compétences adéquates, voire compétitives, pour juger du livre à recenser, tout le contraire du spectacle offert par les cercles d'auto-admiration collective dont la télévision a fait sa marque de fabrique.

10j Literary Review, mensuel, Voisin du précédent et, quoique d'un niveau d'érudition moindre, offrant un agréable compagnonnage. Parmi ses atouts, des vignettes d'un graphisme espiègle et charmant, une mise en page et, cahiers agrafés, une mise en forme qui ne font pas désespérer Billancourt (ni Londres, Paris, Vienne).

10k Esprit, mensuel, quelque 160 pages, 20 euros. Acheté pour son dossier: La vie paradoxale du livre. Déprimant, on s'en doute. À la rubrique Une histoire sans fin de concentration de la contribution de Françoise Benhamou (Sorbonne), on voit Hachette (Lagardère) et Vivendi (gobé par Bolloré en 2015) dominer à eux seuls l'édition en France, et 2021, Editis (lire Bolloré) lance une OPA sur Hachette (lire Lagardère), etc., etc. La culture? C'est du fric.

10l Essä, trimestriel, quelque 170 pages, abonné (environ 44 euros/an). Mentionné ici à titre de modèle, la langue suédoise faisant hors frontières obstacle à la plupart, car c'est que je sache la plus belle, la plus originale, la plus non-conformiste, la plus sophistiquée des publications périodiques. Et ce à commencer par un contenu qui donne forme: tendu à la manière d'un miroir introspectif, un écrit du passé, inséré en fac-similé, sur lequel brodent et réfléchissent ensuite des plumes contemporaines. Dans le dernier numéro, 19-20, automne 2024, c'est la contribution du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise lors d'un séminaire de 2006 sur le devenir incertain de la haute culture avec sa hiérarchie d'icônes participant de la mémoire collective: en passe d'être pulvérisée par les bombes à fragmentation du nombrilisme relativiste charrié par l'inculture internetisée? Mais la réflexion peut tout aussi bien porter sur des plans inimistes d'aménagement d'une villégiature et de son jardin en 1912 ou sur le tableau patriotique de 1880 représentant le roi Charles XII gisant blessé après la défaite de Poltava en 1709. On aimerait en voir des avatars en Belgique et en France mais, ici, rien ne s'en approche.

10m Proletären, hebdomadaire du Parti communiste suédois, tabloïde d'une trentaine de pages (abonné, 120€/an), mentionné, comme le précédent, pour marquer un vide: existait naguère en Belgique l'hebdo Solidaire (PTB) offrant, chaque semaine, une solide information critique sur le monde du travail, à rebours de ce que débite la grande presse en sa pensée dominante. Il en subsiste un petit rien en France avec L'Humanité. Il y a là comme un problème. De pluralisme, pour le dire en des termes châtiers.