Il existe plusieurs formes de propagande mais la plus radicale et la plus efficace d'entre elles consiste à bâillonner les voix déplaisantes. On aboutit ainsi à une propagande de contre-propagande pour démolir des thèses dont nul n'a connaissance. C'est très moderne. C'est une invention européenne.
D'ici quelques jours, le 18 janvier 2023, organisée par le Comité surveillance Otan, se tiendra à Bruxelles une conférence (*) sur le thème "Guerre en Ukraine: réalités et propagandes" avec deux spécialistes reconnus de la propagande de guerre et des mensonges médiatiques. Ça tombe bien.
Non que l'opinion publique, cette pauvrette, eût pu passer à côté du sujet, tant le flux de paroles et d'images, massif, abreuve unilatéralement son quotidien télévisuel et internetisé. Mais, dans le cas du bannissement pan-européen de médias russes, c'est plus compliqué. Comment en effet s'inquiéter d'une absence dont le propre est d'être invisible? Ceux qu'on gratifie du terme de "décideurs", par contre, eux savent très bien.
Résolument français
C'est ainsi que le 30 novembre dernier, l'Assemblée nationale française a voté une résolution anti-russe de la plus belle eau, de surcroît résolument pro-Otan, ce avec l'appui de la gauche soumise, communistes inclus.
La résolution du parlement français a de quoi renverser. Que cette forme d'envolée grandiloquente porte la marque du propagandisme routinier chez les schtroumpfs des assemblées élues est chose assez connue pour ne pas étonner. Certes. Mais qu'elle soit le fait également des plus hautes instances judiciaires a de quoi ébranler un tantinet.
C'est dans le 20e alinéa de l'exposé énumérant les sources en droit censées étayer le bien-fondé de la résolution mise au vote. Que voici: "Vu la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 27 juillet 2022 relative à l’interdiction de diffusion de Russia Today dans l’Union". Russia Today est un multimédia russe (télé, Internet, etc.) et, pour faire court, une agence de presse qui diffuse des informations sociales, culturelles et politiques du point de vue russe, sans cependant faire dans le béni-oui-oui. Et c'est ça que la Commission européenne, confirmé par la haute cour, a frappé de sa censure totale pour ne pas dire totalitaire. Ceci revient à prendre les gens pour des crétins incapables de jauger de la pertinence et de l'honnêteté d'une information, et ça en dit long.
En dit long sur le mépris dans lequel est tenu le peuple dans ces hautes sphères.
Le doigt sur le pli du falzar
En dit long sur l'état de la gauche en France: cette résolution venant affirmer son "soutien à l’Ukraine et condamnant la guerre menée par la Fédération de Russie" n'a en effet, sur les 399 députés votants, recueilli qu'une seule voix contre (l'insoumis Jérôme Legavre). Les socialistes, ils étaient tous pour. Les écolos, tous pour. Les communistes, tous pour, même eux! Et du côté des 95 abstentions, le gros de la troupe est venu des rangs de Marine Le Pen... Ce n'est pas sans évoquer le vote historique en 1914 accordant en Allemagne les crédits de guerre avec l'appui du bloc socialiste SPD, à l'exception du seul communiste Karl Liebknecht, assassiné peu après. Un même scandale.
En dit long aussi sur l'à-plat-ventrisme des élus de la nation, communistes inclus, car cette résolution, au-delà des inexactitudes (sur "l'annexion" de la Crimée, en réalité cédée illégalement à l'Ukraine en 1954) et des à-peu-près ("allégations" de crimes russes donnés comme vérifiées, "adhésion" de la Suède à l'Otan alors qu'il ne s'agit toujours que d'une demande, encore bloquée par la Turquie), non seulement invite "à poursuivre et à renforcer les livraisons d’armes" à l'Ukraine mais encore vante "le rôle important que joue l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord dans la protection du continent européen".
Voilà qui ramène aux mesures de censure de la Commission européenne et de sa serviable haute cour de justice qui édictent et dictent qu'en matière de propagande, il faut en distinguer la bonne (la nôtre, européenne) de la mauvaise (ennemie, la russe) et, mieux, qu'il faut les croire sur parole, car seule la leur sera diffusée. Au ras des médias, message reçu cinq sur cinq. Alors qu'à l'époque de la guerre du Viêt-nam, de la Yougoslavie, de l'Irak, existait un certain pluralisme dans la presse, des voix se faisaient entendre pour tantôt un camp, tantôt l'autre. Avec l'Ukraine, fini, terminé. L'unanimisme anti-russe est intégral, à l'une ou l'autre exception marginale près, tel Le Monde diplomatique.
Le droit? piétiné
Le plus étonnant dans cette sombre affaire est le peu d'émoi suscité par cette censure sans précédent et d'un autre âge, à commencer chez nos élus puisqu'elle traite comme chiffon de papier la Constitution belge qui, en sont article 25, proclame que "La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie". Le droit, ses principes fondamentaux, bof.
Et tout aussi peu d'émoi dans les rédactions alors que pourtant, l'arrêt de la Cour de justice s'érige en arbitre de ce qui peut et ne peut pas être publié en ces termes: les journalistes sont en droit de faire leur métier mais... "à condition qu’ils agissent de bonne foi, sur la base de faits exacts, et fournissent des informations «fiables et précises » dans le respect de l’éthique journalistique ou, en d’autres termes, dans le respect des principes d’un journalisme responsable" (†). Il y a qui devraient s'inquiéter un peu...
On en viendrait à souhaiter qu'un cours sur la propagande soit organisé dès l'école primaire. On verrait l'instit expliquer à ses petites têtes bien faites que toutes les carabistouilles inculquées, sauver la planète et compagnie, relèvent du bourrage de crâne, mais attention! avec les meilleures intentions du monde, mes enfants. Rêvons.
Les mots et les faits
Pour les enfants adultes, des efforts sont faits. On pense ainsi à la conférence organisée ce 18 janvier au cours de laquelle le livre d'Anne Morelli Les principes élémentaires de la propagande de guerre (2001, opportunément réédité en 2023) sera notamment au centre des débats. C'est un ouvrage qui, selon la rumeur, vaut le détour.
Du même cru, en 2003 et en manière de clin-d'œil, nous avions publié avec Vincent Decroly, dissident Ecolo, un manuel sur la propagande gouvernementale (çui de Verhofstadt, dit arc-en-ciel, 1993-2003). Il avait été jugé éclairant par les gens qui lisent, qu'on sait fort peu nombreux. Parmi les douze principes de propagande décortiqués, il y a celui, crucial, tenant au pouvoir de nommer (dire ce qui est et n'est pas) et, partant, de travestir la réalité. Exemple type que le couplet sur la "cohésion sociale", ressassé à droite comme à gauche, euphémisme venant utilement masquer que ce dont il est en réalité question, c'est "l'ordre social", inégalitaire, inique.
La résolution n'invoque pas cette "cohésion". Mais bien, dans un registre voisin, "la stratégie de terreur" attribué à la Russie. On soumettrait volontiers cette notion à Victor Hugo ou à Stendhal, qui jugeaient la terreur nécessaires, voire à Voltaire qui qualifiait les fanatiques, terroristes avant la lettre, de gens "enthousiastes". Derrière les mots, il y a des faits.
Faisant écran devant les faits, il y a des mots.
(*) Le conférence-débat aura lieu au Centre Senghor, à Etterbeek. Entrée libre mais réservation souhaitée: info@csotan.org
(†) Texte intégral, cfr: https://www.europeansources.info/record/cjeu-case-t-125-22-rt-france-v-council/
Cet article paraîtra dans le Drapeau rouge n°96 de janvier 2023 sous une forme autrement aménagée.