Lorsque je présente le livre aux libraires, les questions qui reviennent sont: c'est quoi? quel en est le sujet? c'est à classer dans quel genre? Sur ce point, j'hésite et essaie: plutôt sciences humaines, histoire, politique, actualités... Je ne dis pas "choc des cultures" mais, chez les libraires qui offrent un beau morceau de table aux bouquins sur l'islam, le multiculturel, la laïcité, les recettes d'accomodements dits raisonnables, cette nébuleuse-là, je dis: peut-être là, non?
Ce qui est certain, c'est que personne ou presque, dans les librairies, ne s'est exclamé: ah! un Zetkin! C'est bon ça, je prends.
Mais, tout aussi vrai: la plupart trouvent "l'objet" de belle facture. Présentation sobre. Belle mise en page. Agréable aux yeux et dans la main. J'avoue avec une pointe de fierté - et une infinie reconnaissance à l'imprimeur, Robert Clerebaut, un maître-typographe comme on n'en fait plus guère, ainsi qu'au graphiste de couverture, Donald Sturbelle, autre artiste des féeries encrées.
Assez tourné autour du pot.
Pourquoi lire Zetkin aujourd'hui?
Que me glisse à l'oreille Aragon à l'attention des libraires qui s'interrogent? Ceci:
1. Parce que c'est une page d'histoire et que sans se faire une idée de ce que le présent doit au passé, on est voué à ne rien comprendre à rien. Il n'y a qu'une seule science et c'est l'histoire, disait fameusement Marx, qui en savait un bout.
2. Parce que Clara Zetkin était, comme son amie Alexandra Kollontaï (1ère femme ministre, 1ère femme diplomate), une grande figure du mouvement de libération des femmes au siècle passé, mais tout autant de l'émancipation des hommes, ces combats vont de pair.
3. Parce que son texte éclaire d'un jour différent la question de l'intégration de populations immigrées dont la culture faite de religiosité tribale oppressive, surtout pour les femmes, suppose de la part d'un État moderne laïque beaucoup de doigté pédagogique.
4. Et que la manière de faire, dans l'Union soviétique des années 1920, s'inscrit à contre-courant des présupposés qui ont cours ici et maintenant, ce qui mérite pour le moins débat.
5. Parce que, enfin, le débat, justement, est ce dont la gauche a le plus besoin dans une bataille des idées où il lui faut retrouver un gouvernail théorique.
À ces quelques poteaux de signalisation, ajoutons, du point de vue plus personnel de l'éditeur:
1° LitPol est une toute nouvelle (toute petite) maison d'édition dans le Paysage Scriptovisuel de la francophonie belge. La "graphosphère": pas morte. Une profession de foi, mettons.
2° Sa ligne éditoriale - republier des textes marquants de penseurs du mouvement ouvrier - en fait largement l'originalité. Qui ne maîtrise pas le passé, ne maîtrise ni présent ni avenir (Orwell).
3° Sa conception, aussi: mise en page et "pré-presse" par l'éditeur, fabrication par une imprimeur indépendant aimant son métier (il en reste peu) et diffusion court-circuitant les requins de la distribution. Ajouter: Amazon? Jamais, ses titres ne seront jamais sur Amazon.
4° Ils n'enfanteront pas, non plus, d'avatars "numériques", même si les mandataires de la corporation ainsi que leur tutelle, lobbies sectoriels aidant, y poussent de toutes leurs armes de persuasion et de subsidiation.